Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

10° Les pages 748 et suivantes sont consacrées à la critique des institutions crédit en Russie et aux dangers qu’elles présentent pour le gouvernement, surtout dans les circonstances actuelles.

Les idées et les principes en matière de crédit, développés dans ces pages avec beaucoup de lucidité, sont si justes, que l’on ne pourrait pas les révoquer en doute, et l’erreur ne consiste que dans la rigoureuse application de ces idées et de ces principes à l’état de choses en Russie tel qu’il existe et que les circonstances l’ont fait. C’est une erreur dans laquelle tombent ordinairement tous les écrivains étrangers, qui ne jugent de ce qui se passe en Russie que d’après les idées reçues et reconnues justes dans d’autres pays[1].

La Russie est un pays très difficile à connaître et à juger. Il faut y avoir vécu et l’avoir longtemps étudié pour bien saisir les causes de chaque fait qui se présente à l’œil de l’observateur et les conséquences qu’on peut en déduire. La rapide croissance de cet empire, l’origine de sa grandeur, les élémens dont il se compose, ses mœurs, ses traditions nationales, le caractère et les idées prédominantes de ses populations, toutes ces circonstances réunies ont créé un état de choses tout à fait particulier propre à ce pays, et bien souvent tel fait qui, dans d’autres contrées, amènerait inévitablement telle ou telle conséquence, produit en Russie un effet tout opposé, de sorte que la simple logique à laquelle la connaissance du pays ne vient pas en aide se trouve souvent déroutée dans ses calculs. C’est une observation que nous avons souvent entendu faire par des étrangers éclairés qui sont venus s’établir en Russie, et qui ont eu à y manier de grands intérêts commerciaux ou industriels. Ce caractère particulier à la Russie se reflète aussi dans ses institutions de crédit.

« Ce que le gouvernement russe (dit M. Léon Faucher) n’a pas fait par lui-même en matière de crédit, il l’a suscité par sa garantie et se l’est approprié. Banques d’émission, caisses de prêt et de dépôt, institutions de crédit hypothécaire, caisses d’épargne et monts-de-piété, tout émane de lui seul, ou remonte à lui en dernière analyse. C’est une espèce de communisme financier qui s’ajoute au communisme foncier, et qui en aggrave les conséquences en faisant de toutes ces mailles une chaîne sans fin. »

Cette observation est très-juste, mais le fait signalé par l’auteur est en lui-même la conséquence naturelle des circonstances qui l’ont produit. Après avoir secoué le joug des Tartares, la Russie est entrée dans la carrière de la civilisation avec un immense amas de ressources et de forces vitales qu’il s’agissait de développer. Le pouvoir absolu, qui en était une conséquence et une condition essentielle d’existence, placé à la tête d’une nation intelligente et énergique, mais encore peu familiarisée, dans les premières périodes de sa culture, avec les ressources d’une civilisation plus avancée, est devenu par la force des choses le principe et le moteur de tout progrès. L’esprit d’association, si fécond ailleurs en résultats, n’étant pas encore assez développé, c’est le gouvernement qui a dû prendre l’initiative de toutes les institutions

  1. Nous ne faisons ici allusion, bien entendu, qu’aux auteurs de bonne foi et non à ceux qui, mus par un sentiment hostile ou par un intérêt de parti, se sont attachés à dénigrer ce pays.