Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/781

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’extermination. Ce premier noyau, quand il réussissait à vivre, se grossissait successivement, et devenait en définitive une colonie dépendante du kha-kan, qui lui donnait des chefs. Grâce à ces alluvions humaines, si je puis ainsi parler, les Avars remplirent la Mésie, surtout le voisinage du Danube, de points d’occupation et de repère pour leur extension future. Des Bulgares prirent racine de cette façon sur quelques cantons de la Basse-Mésie. Les dix mille Coutrigours jetés par Baïan dans la Dalmatie s’y firent place et n’en sortirent plus. Tel fut le barbare procédé de conquête ajouté par les Avars à la puissance de leurs armes. Les Romains reculaient devant l’idée d’anéantir des myriades d’êtres humains souvent sans armes, des vieillards, des enfans, des femmes ; ils les toléraient sur des terres incultes qu’ils finissaient par leur abandonner, puis le kha-kan venait revendiquer les hommes comme ses sujets, et le territoire comme son domaine.

Les mœurs des Avars étaient un mélange de grossièreté et de luxe ; ils recherchaient les beaux habits, la vaisselle d’argent et d’or, et leurs kha-khans s’étendaient sur des lits d’or ciselés garnis d’étoffes de soie et qui leur servaient de couche et de trône ; au-dessus de ces lits ou divans étaient placés quelquefois des dais ou pavillons étincelans de pierreries. Ils avaient soin, dans les capitulations, de se faire livrer par les villes des étoffes précieuses pour leurs vêtemens ; Baïan poussait même la recherche de l’élégance jusqu’à se faire remettre des vêtemens tout faits ou en demander à l’empereur : il fallait qu’un habit à la scythique, pour être à son goût, fût fabriqué d’étoffe romaine et sortît des ciseaux d’un tailleur romain. Le même kha-khan jugeait assez impertinemment les arts de la Grèce, et les riches cadeaux de l’empereur attirèrent parfois sa critique et son dédain. L’ivrognerie, la débauche, le vol, étaient les vices ordinaires des Avars. Leurs femmes semblent avoir été peu retenues, à en juger par celles du kha-khan, dont les aventures occupent un petit coin de cette histoire, et quant aux femmes de leurs vassaux ou serfs, elles étaient censées leur appartenir par droit de suzeraineté. Quand des Avars allaient en quartier d’hiver dans un village slave, ils en chassaient les hommes, s’établissaient dans les maisons, prenaient les provisions, et le bétail et abusaient des femmes et des filles : il en résulta un peuple de métis qu’ils voulurent traiter de la même façon, et qui finirent par se révolter contre leurs pères. Une brutalité cruelle s’unissait chez eux à la débauche. Une tradition encore en vigueur au temps de Nestor, le plus ancien historien russe, rapporte qu’ils attelaient les femmes slaves comme des bêtes de somme à leurs chariots. L’histoire ne nous donne guère de lumière sur le gouvernement de ce peuple, lequel était fort