passer leurs ambassadeurs sur le territoire romain, s’ils voulaient s’adresser à l’empereur. Baïan, à qui cette réponse fut portée, la trouva juste et raisonnable ; mais il ajouta qu’il était fort embarrassé de ce que penseraient de lui les peuples qu’il avait traînés à la guerre. « J’ai honte, disait-il, de m’en retourner sans avoir rien fait et sans rien remporter que je puisse faire voir comme un gain de cette campagne. Envoyez-moi quelques présens de peu de valeur, afin que je ne paraisse pas avoir essuyé inutilement les fatigues de cette expédition, car à mon départ je n’ai rien pris avec moi et si vous ne me venez en aide pour mon honneur, je ne partirai pas d’ici. » Cette demande, qui peut nous paraître étrange, l’était beaucoup moins dans l’idée des barbares d’Asie. Ne rien rapporter d’une course était bien pis qu’avoir été battu en sauvant son butin, et Baïan, qui voulait renouer ses négociations avec les Romains, tenait à prouver que les Romains avaient fait vers lui le premier pas. Ce qui est certain, c’est que les Sirmiens présens à la conférence, particulièrement l’évêque de la ville, trouvèrent la demande de Baïan fort sensée et l’appuyèrent près du duc Bonus ; Baïan d’ailleurs, fort modéré dans ses prétentions, ne réclamait qu’une coupe d’argent, une petite somme en or et un habit à la scythique. Bonus et son conseil n’osèrent rien prendre sur eux. « Les Romains, fut-il répondu au kha-kan, avaient un maître prompt à s’irriter et dont il fallait attendre les ordres ; de plus, ni Bonus ni les siens n’avaient avec eux autre chose que ce qui est nécessaire dans un camp, leurs armes et leurs habits, et assurément le kha-kan ne leur conseillerait pas de se déshonorer en livrant leurs armes. — « Si l’empereur veut t’obliger en te faisant des présens, dit encore Bonus, j’en serai heureux pour mon compte ; j’exécuterai ses ordres avec empressement, et je m’efforcerai d’être agréable à un serviteur et ami de mon seigneur. » Baïan accueillit ces excuses avec des invectives et des menaces, et jura qu’il ferait le dégât sur les terres de l’empire. « Eh bien donc ! répliqua Bonus, l’empire te châtiera. » À quelque temps de là, dix mille Coutrigours firent irruption dans la Dalmatie, qu’ils mirent à feu et à sang et dont ils occupèrent plusieurs cantons. Le kha-kan protesta que c’était sans son aveu, et qu’il n’était pas responsable de ce que faisaient ces peuples turbulens ; en effet, comme s’il eût été complètement étranger à ce qui venait de se passer, il envoya une ambassade pacifique à Constantinople.
L’expédition des Coutrigours avait inspiré au kha-kan la prétention la plus extraordinaire qu’il eût encore mise en avant dans ses négociations : il eut l’idée de réclamer l’arriéré des pensions payées autrefois par Justinien aux Coutrigours et aux Outigours, arriéré qui lui appartenait d’après le système qu’il appliquait aux Gépides.