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Mais cette question, que l’empereur posait à son frère comme devant déterminer la mesure de sa confiance, n’impliquait-elle pas aussi la plus irrécusable condamnation du système ? Joseph n’a besoin certainement d’aucune excuse devant la postérité pour avoir tenté d’appliquer celui-ci d’une manière moins complète et moins rigoureuse. Aux injonctions qui lui étaient adressées, aux reproches réitérés sur l’excès de sa confiance et de sa bonté, le roi de Naples pouvait, après une année de règne, répondre par des faits, car dès le commencement de 1809 la pacification du pays était à peu près consommée. Après un siège mémorable, Gaëte avait enfin cédé à l’ascendant des armes françaises. Les débarquemens opérés par les Anglais sur tous les points du littoral avaient été repoussés, et sauf les places de Scylla et de Reggio, protégées par des abords fort difficiles et par la proximité des côtes de Sicile, les Calabres étaient à peu près soumises. Joseph avait paru de sa personne dans ces provinces reculées, où quelques exemples de sévérité, qu’il avait grand soin de faire sonner bien haut à Paris, avaient produit moins d’effet que sa bienveillance et sa sollicitude pour tous les intérêts publics. Peu guerrier, quoique brave de sa personne, ce prince avait dû commencer dans ces âpres montagnes l’apprentissage du métier de général en chef nominal qu’il allait faire bientôt après en Espagne dans des conditions plus critiques et plus douloureuses. A Naples en effet, il avait moins à s’inquiéter des chances du champ de bataille, toujours à peu près assurées, que des exigences personnelles de l’homme prodigieux qui, des solitudes du Nord où l’avait alors porté sa fortune, entendait régler tous les mouvemens de son armée d’Italie jusque dans leurs plus minutieuses particularités, et qui, emprisonné dans les boues de la Pologne, préparait la conquête de la Sicile comme pour se délasser d’un repos forcé de quelques mois.

Il fallait que Joseph satisfit à toutes ces exigences, et qu’il répondît ponctuellement à toutes les questions d’un souverain qui connaissait le personnel de ses armées au point de juger lui-même l’aptitude des officiers les plus obscurs. Napoléon dévorait le temps comme l’espace; tout retard était un tort, quelque impérieuse qu’en fût la cause, et tout échec était un crime aux yeux de celui qui avait placé sa force dans son prestige, et n’avait encore connu de la fortune que ses faveurs. Le vainqueur d’Iéna et de Friedland, le formidable négociateur qui partageait en ce temps-là le monde à Tilsitt, entendait que ses lieutenans fussent heureux comme il l’était lui-même; manquer de bonheur, c’était presque manquer de fidélité, car c’était ébranler la foi des peuples en son étoile. Aussi quelles irritations et quels dédains lorsque Joseph hasardait une objection timide, lorsqu’il demandait de l’argent ou des hommes, comme si, dans ces