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fer; encore quelques exils, et les Alpes tomberont à leur tour, comme autrefois les Pyrénées, mais pour ne plus se relever.

Le Proscrit, scènes de la vie contemporaine, tel est le titre d’un roman où M. Caccianiga soutient cette proposition peu contestable, que l’exil est une source de malheurs; mais, pour sortir du lieu commun, l’auteur prend pour héros un de ces jeunes patriciens qui d’ordinaire se croient partout chez eux, parce que l’or leur ouvre toutes les portes. Si, malgré les jouissances de la fortune, la proscription chasse bientôt le bonheur, il est clair que la thèse de M. Caccianiga, déjà plus originale, sera aussi plus concluante.

Nous touchons ici dès l’abord au principal écueil d’un tel sujet : c’est qu’au lieu d’écrire sur ce qu’il connaît bien, sur l’Italie et les mœurs de son pays, M. Caccianiga est fatalement conduit à placer la scène, du moins pour une partie de son roman, sur la terre d’exil, au milieu de ce Paris qu’il habitait récemment encore, avant qu’une amnistie honorable l’eût rappelé dans ses foyers. Or cinq ans de séjour n’ont pu lui en apprendre autant sur Paris que vingt-cinq sur l’Italie; d’ailleurs il a l’âme trop honnête pour pénétrer à fond certains mystères de la vie parisienne, et les vulgaires aventures qui remplissent la seconde partie de son roman sont dénuées d’intérêt pour le public italien comme pour le public français. Heureusement la première partie du roman nous dédommage de la seconde. Là du moins la scène est en Italie, tantôt sur les bords séduisans du lac de Côme, tantôt à Milan, au milieu des bruits précurseurs et du tumulte même de la révolution. Là le futur proscrit aime une charmante jeune fille, fait partie des sociétés les plus inoffensives, porte des toasts imprudens à l’indépendance, gémit dans cette prison de Sainte-Marguerite, illustrée par Pellico, entend du fond de son cachot la fusillade victorieuse du peuple, combat jusqu’à la fin pour sa patrie, et ne s’exile qu’au moment où une nouvelle captivité, la mort peut-être, le menacent.

Toutes ces scènes et d’autres encore, M. Caccianiga les raconte de verve, avec beaucoup d’esprit et d’entrain, avec une vivacité plus française qu’italienne. Son style a ce trait, ce mordant, ces allures nettes et décidées qu’on trouve si rarement de l’autre côté des Alpes, et que Manzoni presque seul possède sans cesser d’être Italien. Par un remarquable privilège, cette impétuosité d’esprit n’exclut pas la discrétion, la retenue la plus sévère. M. Caccianiga a su renfermer son récit, si élastique qu’en fût le sujet, dans un tout petit volume, et s’interdire les allusions politiques, les déclamations, les imprécations que les exilés se croient volontiers permises. Sans doute il sent et exprime très vivement les plaies sociales de notre époque, mais jamais son improbation, jamais son ironie ne dépassent ce qu’un homme bien élevé peut avouer et signer.

Les Italiens pourront remarquer dans le style même de M. Caccianiga de trop visibles traces de l’influence étrangère. Mme Carletti-Calani, auteur du dernier roman dont nous ayons à parler, écrit de même dans une langue où les puristes toscans trouveraient à signaler beaucoup d’incorrections. Bien que Mme Calani ait fixé sa résidence en Toscane, sa Palmyre prouve clairement qu’elle n’est pas née dans la patrie de Dante et de Boccace. Le talent du romancier ne rachète pas malheureusement chez Mme Calani l’inexpérience de