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paysage, panorama pittoresque de maisons modestes et tranquilles, de vignobles ombrages et de jardins exposés au soleil; asile paisible qui séduit et attire quiconque est fatigué des choses d’ici-bas. Et par derrière ces eaux, ces ombrages, ces habitations, vous voyez d’autres montagnes, et par derrière encore d’autres cimes, les Alpes, puis l’horizon étincelant, le soleil qui répand à torrens sa plus pure lumière sur la surface agitée du lac, et qui règne au milieu du ciel avec tout son éclat, comme le regard de Dieu qui se dirige vers la terre pour la rappeler à la vie ! »

Il y a dans ce gracieux tableau mieux que l’indice d’un heureux talent descriptif, il y a un sentiment vif et original de ce qui fait la beauté du paysage lombard. Toutefois, si agréable que soit le récit où se rencontrent de telles pages, je préfère encore à Angiola-Maria une petite nouvelle, un récit de mœurs villageoises, — la Nunziata, — renfermé par M. Carcano dans moins de cent pages. L’embarras évident que les Italiens éprouvent à créer des caractères ou à imaginer un imbroglio romanesque de quelque étendue les appelle à réussir mieux dans la nouvelle que dans le roman. C’est même dans ce genre, après la poésie, qu’ils ont obtenu les plus anciens et les plus légitimes succès. Là le cadre est moins vaste et moins difficile à remplir; là, au lieu d’une peinture aux contours arrêtés, on peut se contenter d’une esquisse ou d’une ébauche; on sait gré à l’auteur d’une intention légèrement indiquée, comme si l’exécution y répondait.

L’idée-mère de la Nunziata est une simple, mais éloquente protestation contre cette agglomération hideuse des enfans des deux sexes dans les manufactures, contre l’abrutissement prématuré et la promiscuité qui en sont la conséquence. Cette morale du récit est exposée d’une manière piquante dans une conversation de café entre les notables de l’endroit. Rien n’est d’ailleurs plus digne d’intérêt que cette jeune fille presque maudite par son père, chassée du logis comme bouche inutile, et gagnant un pain amer aux dépens de sa santé dans la manufacture; rien de plus sobre et de plus chaste que le récit des assauts que soutient sa vertu, rien de plus touchant que sa résignation, ses pressentimens et sa mort. Ici encore nous retrouvons les qualités de M. Carcano, le pathétique et la mesure dans l’expression, et nous n’avons à lui reprocher aucun des défauts qui déparent Angiola-Maria.

Ce gracieux esprit pourrait être considéré comme chef d’école, s’il avait eu des imitateurs. Je ne lui en connais guère d’autre que M. Caccianiga; encore ce jeune écrivain semble-t-il s’être plutôt formé à l’école des romanciers français. En 1848, lorsque Milan se croyait libre parce qu’elle avait fermé ses portes sur les Autrichiens et qu’elle ne les voyait plus, M. Caccianiga y rédigeait avec esprit et succès l’Esprit Follet, journal dans le goût du Charivari. D’innocentes plaisanteries le forcèrent, au jour de la défaite, à prendre la route de l’exil. A Paris, sa vive intelligence s’est facilement pénétrée des qualités les plus saillantes du génie français, et quand il a repris la plume, le jeune journaliste était déjà trop naturalisé parmi nous pour se retrouver à volonté exclusivement Italien. C’est là sans doute un inconvénient, mais qui n’a pas été sans compensation : M. Caccianiga a évidemment beaucoup gagné à être proscrit. L’émigration politique n’est pas un propagateur moins puissant de la civilisation que la télégraphie électrique ou les chemins de