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contre la défaite est honorable; mais la mise en œuvre est trop insuffisante. Je m’en tiendrai à Angiola-Maria, qui est le meilleur travail de quelque étendue qu’ait publié M. Carcano, et qui est à présent le modèle du genre intime en Italie, comme les Fiancés le sont du genre historique. Est-il besoin de dire que, si estimable que soit ce roman, il ne peut soutenir la comparaison sur aucun point avec celui de Manzoni, et qu’il ne doit qu’au hasard et aux circonstances dont j’ai parlé l’honneur d’être signalé comme modèle ? Il suffira pour le prouver d’indiquer les objections que ce livre soulève; mais, avant d’exprimer nos scrupules, il est juste de dire quelles sont les qualités qui font d’Aggiola-Maria un des meilleurs romans de l’Italie contemporaine. Le sentiment vrai des beautés de la nature transalpine, l’émotion, le pathétique obtenu par les moyens les plus simples et même les plus vulgaires, une certaine connaissance de la réalité, assez rare dans ce pays, — voilà en quoi M. Carcano excelle, voilà en quoi il me parait mériter qu’on salue son avènement.

Il faut en prendre son parti quand on étudie les œuvres d’imagination chez les Italiens; aucun d’eux, — nous exceptons toujours Manzoni, — ne se doute des ressources qu’on peut trouver dans l’invention. Chez nous, un romancier cherche à plaire par les développemens, par le mouvement et l’imprévu; en Italie, c’est uniquement à la forme qu’il demande le succès. Sans doute une œuvre supérieure doit réunir ces deux mérites; mais n’est-il pas juste de reconnaître qu’à tout prendre, le peuple qui se passionne pour les beautés de la forme est mieux né pour l’art que celui dont toute l’attention se porte sur des combinaisons d’autant plus applaudies qu’elles sont moins naturelles ? Les Italiens y vont simplement; ils prennent les circonstances les plus ordinaires de la vie, et ils tâchent d’y intéresser leurs lecteurs. Le problème est difficile, mais il est en partie résolu lorsque, sans expédiens romanesques, sans caractères, on parvient, comme M. Carcano, à faire pleurer sur le sort d’une jeune villageoise et à provoquer dans l’âme de douces émotions.

Rien de plus simple que cette histoire : Angiola-Maria vient de perdre son père. Accouru pour lui rendre les derniers devoirs, son frère Charles, vicaire dans une paroisse assez éloignée, fait connaissance avec un jeune Anglais, Arnold Leslie, dont la famille passe au château du village, loué par elle, la saison d’été. Arnold s’éprend de la charmante villageoise. Bientôt ses sœurs font d’Angiola leur amie, et, l’hiver venu, l’emmènent à Milan, du consentement de sa mère, qu’elles décident avec peine à s’en séparer. Là, dans une intimité de chaque jour, Arnold ose parler de ses sentimens. Angiola-Maria, quoiqu’elle garde le silence, se croit déjà coupable pour avoir répondu dans le secret de son cœur. Elle écrit au vicaire, qui accourt, l’arrache au danger et la conduit dans une maison amie, chez de pauvres gens. A partir de ce moment et comme pour la récompenser de sa vertu, le malheur s’appesantit sur la jeune fille. Emprisonné pour un prétendu délit politique, le vicaire meurt dans son cachot; sa mère le suit bientôt dans la tombe, et Marie, pour ne pas rester à la charge d’une étrangère, entre en condition. Sa beauté l’expose, dans toutes les maisons où elle sert, à d’indignes insultes; elle se voit forcée de retourner au village. Arnold brave alors la malédiction