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Pieruccio, qui est le Jérémie de la ville assiégée. Il y a dans quelques-uns des discours que l’auteur prête à Pieruccio le vrai sentiment de ce qui faisait l’originalité de Florence au XVe siècle. Dans ce roman d’ailleurs, les passions démocratiques ne sont pas un anachronisme, comme dans la Bataille Bénévent. Seulement, pourquoi l’auteur ne les exprime-t-il pas avec plus de simplicité ? À quoi bon y mêler une âpreté d’humeur qui appartient plus au romancier qu’à ses héros ? Ayons des haines vigoureuses, je le veux bien, mais du moins qu’elles soient compensées par des affections puissantes. Pour avoir le droit de maudire si obstinément les hommes et les choses, le présent et le passé, il faudrait marcher droit à un but et tenir ce but pour le meilleur de tous, ou même pour le seul qu’il soit permis à l’honnête homme de poursuivre. Or M. Guerrazzi n’en est point là Après avoir amèrement exprimé son horreur pour la tyrannie, son dédain pour le régime constitutionnel, il ajoute : « Peut-être les formes américaines, avec les modifications que le caractère des hommes et la nature des choses commandent, pourraient-elles convenir à l’Italie, peut-être aussi ne lui conviendraient-elles pas. Le système fédératif semble devoir s’adapter à merveille aux dissentimens qui existent entre les diverses nations italiennes ; mais si les confédérations contiennent des germes de discorde, elles perpétueraient le mal. Au surplus, nous avons le temps d’y penser. Pour le moment, nos maîtres ne m’invitent pas à m’asseoir dans leurs conseils, ni à prendre part à la délibération des lois. »

M. Guerrazzi ne se doutait pas, quand il écrivait ces lignes, qu’il serait bientôt mis en demeure de se prononcer sur ces graves questions. On voit s’il était préparé à la dictature. En vérité, un homme dont les idées sont si peu arrêtées est mal venu à railler, à maudire ceux qui, au péril de leur gloire et de leurs jours, ont proposé une solution, alors même qu’ils se sont trompés. Malheureusement M. Guerrazzi n’épargne personne : rois et ministres, noblesse et bourgeoisie, institutions et coutumes, gouvernemens et religion, il poursuit tout de son âpre censure. Faut-il s’étonner si les princes italiens ont opposé et opposent encore tant d’obstacles à l’introduction d’un pareil livre dans leurs états ? C’est à Paris seulement que M. Guerrazzi put trouver un éditeur. Un tel fait n’explique guère, disons-le en passant, les sarcasmes et les injures dont l’écrivain livournais accable volontiers notre pays.

Isabella Orsini, son troisième récit, n’a pas, comme tableau historique, la même importance que le Siège de Florence ; mais le conteur s’y laisse aller moins souvent au mauvais goût et à la boursouflure. Le sujet même indique plus d’intelligence des conditions du roman : si les personnages sont encore empruntés à l’histoire, ils n’y figurent que par le hasard de leur naissance ou à cause de quelque scène tragique de leur vie privée, dont le souvenir s’est perpétué. L’intérêt dans Isabella Orsini naît plutôt de quelques scènes émouvantes que de l’habile développement des caractères. Parmi les personnages qui entourent Isabelle, et qui sont tous jetés dans le même moule, on ne trouve vraiment à signaler que la piquante, mais fugitive silhouette d’une dame d’honneur dont la docilité obséquieuse vis-à-vis de sa maîtresse fournit au conteur quelques détails plaisans. On aimerait à trouver