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plus habiles et plus dangereux. Les événemens se pressent dès lors avec une extrême rapidité, et après la bataille de Gaviriana, après la mort de l’héroïque Ferruccio et des derniers défenseurs de Florence, se place le récit des châtimens terribles que la justice de Dieu infligea plus tard à presque tous les bourreaux.

Le danger presque inévitable d’une aussi longue série de scènes, c’était la monotonie. Quelques épisodes remarquables qui s’y détachent n’atténuent qu’imparfaitement ce défaut. Nous citerons particulièrement la scène entre un transfuge florentin et deux champions qui se présentent pour le combattre. Ludovic Martelli et Dante de Castiglione ont envoyé au camp impérial défier Bandino Bandini, Florentin qui est allé s’associer aux oppresseurs de sa patrie. Bandini accepte le cartel, mais il faut trouver un chevalier qui consente à prêter au traître l’appui de son bras et à se mesurer avec Dante le patriote.

« — Illustre prince, dit le transfuge Bandini à Philibert de Châlons, prince d’Orange général en chef de l’armée impériale, je prie votre seigneurie de désigner parmi les nobles chevaliers qui vous entourent celui qui devra m’assister.

« — De grand cœur, Bandino. Comte Lodron, cette rencontre ne tente-t-elle pas votre courage ? Ne voulez-vous pas ajouter un nouveau fait d’armes à ceux qui déjà vous honorent ?

« On entend le bruit d’une pesante armure de fer, on voit s’avancer un colosse allemand. Il avait le visage blanc comme la cire, les cheveux à moitié gris, à moitié d’un blond fauve. On voyait que sur ce front lisse la pensée prenait difficilement place, et qu’à peine née, elle s’évanouissait; ses muscles avaient la raideur du fer dont ils étaient constamment revêtus; le cœur était dans sa poitrine comme un cercueil de marbre : si par hasard quelque sentiment y prenait naissance, il y était bientôt enseveli, comme un cadavre dans sa bière, et cependant le comte Lodron était un vaillant et loyal chevalier.

« — Prince, répondit-il avec un visage impassible, tous mes aïeux, depuis Varnefrid le Saxon, dorment avec honneur dans leurs sépulcres de pierre. Peut-être la rouille des siècles aura-t-elle rongé leur écu guerrier, mais ni dans la vie, ni dans la mort, la honte n’en a terni l’éclat. Je tiens pour une infamie de s’associer à la querelle d’un traître, et il n’est ni récompense ni châtiment qui puisse me faire combattre pour lui.

« — Comte, interrompit le prince d’Orange rougissant de colère, que signifient ces paroles ? Ainsi tous les Florentins qui se trouvent dans mon camp doivent être regardés comme des traîtres ? Vous vous trompez, ils combattent pour les Médicis, qui sont les maîtres légitimes de Florence; mais vous-même, comte, ne combattez-vous pas pour les remettre en possession de leur antique domaine ?

« — Je combats pour sa majesté Charles-Quint mon maître, reprit le comte, et il porta la main à son front en témoignage de respect. Quant au pape et à sa famille, loin de leur donner ma vie, je ne me baisserais pas pour les relever. Jusqu’à présent, personne n’a regardé les Médicis comme des princes…