Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/737

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y a encore dans cette introduction quelques pages éloquentes. M. Guerrazzi nous peint la nature riante et belle comme elle lui apparaissait aux jours de la jeunesse, quand, semblable à l’alouette voyageuse, il se levait pour recevoir sur sa tête les premières bénédictions de la lumière et du soleil. Il admirait tout alors, les formes du lion, les bigarrures du tigre, les couleurs de la digitale, les ondulations de l’océan. Plus tard il découvrit le mal et le poison caché sous ces brillans dehors : il maudit la mer en furie, le soleil qui verse également ses rayons sur le fer du meurtrier et sur la blessure de la victime, il foula aux pieds la ciguë qui avait tué Socrate. Si le pessimisme de M. Guerrazzi n’avait d’autre fondement que celui qu’il lui donne dans la brillante introduction que j’essaie de résumer, il serait bien superficiel et bien peu raisonnable; car pour que certaines choses soient bien, il faut que d’autres soient mal. Le raisonnement de M. Guerrazzi a été celui d’un esprit à outrance : ne voyant que le mal dans l’ordre des faits politiques, il en vint à se demander s’il n’était pas partout le fond des choses, et si le bien ne se trouvait pas seulement à la surface. C’est la logique de la passion, et ce devait être celle de l’auteur du Siège de Florence.

Il est facile de comprendre combien ce génie atrabilaire dut se trouver à l’aise en présence d’un tel sujet. La ruine de la florissante république était plus qu’une catastrophe municipale : c’était le râle de la liberté italienne traquée dans son dernier asile : c’était la plus grande douleur et tout ensemble la plus grande gloire du passé, une leçon d’héroïsme et une excitation à la vengeance. Pourtant, au lieu d’un chef-d’œuvre, M. Guerrazzi ne nous a donné qu’un ouvrage où l’éclat du style ne saurait racheter de mortelles longueurs; mais cet ouvrage, il faut le reconnaître aussi, est celui qui offre la plus vive, la plus sincère expression de son talent.

Le Siège de Florence s’ouvre par le récit des derniers momens de Machiavel. Ce grand homme, à son lit de mort, dicte à ses amis éplorés son testament politique, ou plutôt il commente longuement avec eux l’histoire de Florence, les agitations du passé et les menaces de l’avenir. Est-il besoin de dire que les dernières paroles de Machiavel aux hommes de cœur qui entourent sa tombe entr’ouverte sont des pressentimens fatidiques, ou plutôt des oracles raisonnes qui donnent la clé de tout ce qui va suivre ? Et cette clé n’est point inutile, car les événemens vont se succéder sans transition, sans autre lien que celui qu’y a mis l’histoire. C’est ainsi que nous assistons successivement aux derniers efforts de l’indépendance dans les provinces italiennes, puis à je ne sais quelle conférence entre Charles-Quint et Clément VII, qui se disent l’un à l’autre de dures vérités, quand l’auteur est las de leur en dire à tous les deux, puis aux entretiens singuliers de l’empereur avec son astrologue et aux fêtes qui signalent le traité d’alliance qu’il a conclu avec le saint-siège. Peu à peu le drame fait un pas. Les premiers complots des traîtres, les dernières tentatives des Florentins auprès du pape, leur compatriote, pour conjurer le danger, les délibérations intérieures des magistrats de Florence, les discours patriotiques des prédicateurs formés par Savonarole, voilà les scènes principales de ce qu’on pourrait appeler la seconde partie du poème. Enfin commencent les combats, les défis solennels, un peu trop multipliés peut-être, le procès des traîtres subalternes, impuissant à comprimer les autres,