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moi vous êtes venus au monde, comme moi vous vivez, comme moi subirez la mort; chez vous comme chez moi règnent les maladies du corps et de l’esprit, l’erreur, la souffrance, la sottise, la faute.

« Notre globe est peuplé d’une race qui par décrépitude, par abrutissement, par aveuglement ou par lâcheté, se traîne avec effort sur cette terre d’exil et crie à ceux qui la précèdent : Pas tant de presse! Le repos, c’est le bonheur. Quoi! ne savez-vous pas que vivre, c’est courir vers la mort ? Le repos n’est pas la vie. Passer d’un malheur à l’autre, s’agiter incessamment dans l’inquiétude et le chagrin, frapper et être frappé, aimer, haïr, être tantôt ange, tantôt démon, ver et Dieu, voilà la vie. Est-elle un bien ? est-elle un mal ? Demandez-le à celui qui, pouvant ne créer que le bien, ne l’a pas voulu. Si l’absence de la passion était le bonheur, la tombe n’aurait pas moins de vie que l’homme. Or la différence qu’il y a entre l’homme et la pierre, saint Etienne vous le dira, lui qui mourut lapidé. Êtres impassibles ! demandez aux prêtres de Jupiter le sort de Niobé ! Prenez garde cependant : vos prêtres ont bien le pouvoir de transformer les cœurs en pierre; mais, comme l’hydrophobie, ce pouvoir ne passe pas à la seconde génération, et au temps où nous sommes, il faut regarder cela comme un bien.

« Que ces hommes écoutent donc, mais qu’ils n’entendent pas; qu’ils regardent, mais qu’ils ne voient pas! Je hais leurs jugemens, et quoique ma voix se fasse entendre près de leurs demeures, je souhaite qu’elle retentisse solitaire comme le rugissement du lion dans les sables du désert, comme le cri de l’aigle sur les rochers des Alpes. »

D’après ces dernières paroles, on serait fondé à croire que M. Guerrazzi ne parle que pour lui-même, afin de soulager son cœur, qui déborde d’amertume; il nous dit cependant un peu plus bas qu’il s’adresse aux jeunes gens seuls, « parce que le temps lui a appris que les cheveux blancs ne sont pas sur la tête des vieillards une auréole de sagesse, que chaque année efface une vertu, et que bien avant de mourir l’homme n’est plus qu’un cadavre. » Or que dit-il à ces jeunes gens dont il fait son auditoire ? « La force n’a conclu avec personne un pacte éternel. Tant que vos bras, se levant vers le ciel, sentiront le poids des fers, ne demandez pas grâce... Dieu est avec les forts. La mesure de votre abjection est comble; vous ne pouvez descendre plus bas; la vie consiste dans le mouvement; donc vous remonterez. Ayez la colère au cœur, la menace sur les lèvres, la mort dans la main, brisez tous vos dieux; n’en adorez d’autre que Sabaoth, le génie des batailles; vous vous relèverez. Encore une fois notre bannière flottera sur les tours ennemies, terrible aux fils des Cimbres; l’antique tombe de Marins se soulèvera et laissera voir son spectre; encore une fois nous traînerons dans la poussière, vers le Champ-de-Mars, les couronnes des tyrans. — Serons-nous heureux alors ? qu’importe ? Qu’ils reviennent, oh! qu’ils reviennent, ces jours désirés, ces jours de joie pour l’orgueil italien! Amer est le plaisir d’opprimer, mais c’est encore un plaisir : la vengeance réjouit l’esprit de Dieu. »

Ainsi tout ce découragement, ce n’est qu’une figure de rhétorique, et ce livre est un cri de guerre. Montrer aux Italiens la vertu et l’infortune de leurs ancêtres, n’est-ce pas leur apprendre à s’élever à la hauteur de l’une et à se garantir de l’autre ?