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nommer, seulement pour mémoire, les écrivains qui la représentent encore : M. Canale a publié Gerolamo Adorno ; M. Varese, Folchetto Malaspina, Sibilla Odaleta ; M. Colleoni, Isnardo ; M. Cabianca, Giovanni Tonesio ; M. Rovani, Lamberto Malatesta ; M. Bresciani, le Juif de Vérone ; M. Travisani, les Mercenaires de Monteverde ; Mme Sajani, les Derniers jours des Chevaliers de Malte. Ces ouvrages se distinguent tous par quelque mérite, celui-ci par de laborieuses recherches, celui-là par une certaine facilité ; aucun ne se recommande par l’invention et l’originalité. J’en aurais fini avec le roman historique, s’il ne convenait de dire un mot du dernier ouvrage que cette école ait produit, pour mieux nous convaincre que sa gloire est toute dans le passé.

L’auteur du roman dont il nous reste à parler, M. Corelli, a cherché un modèle, et, après de mûres réflexions, il s’est arrêté à M. Rosini. Certaines affinités naturelles lui faisaient presque de ce choix une nécessité. J’ignore si M. Corelli a autant de savoir que M. Rosini, mais à coup sûr il a encore moins d’imagination que lui. Je ne dirai rien de son Olivier Capello, qui remonte à l’année 1846, et qui n’est pas une œuvre assez distinguée pour nous arrêter. Quant à Fra Girolamo Savonarola, le dernier roman de M. Corelli, publié à Turin en 1852, l’auteur avait une rude tâche à remplir après le naïf et charmant récit de Burlamacchi. Ce récit ne laissait de place qu’à l’histoire proprement dite, et M. Corelli, adoptant pour son sujet un cadre romanesque, soulevait une comparaison périlleuse entre ses inventions et la candide chronique de Burlamacchi. La crédulité n’a plus aujourd’hui ses privilèges d’autrefois, et si nous l’aimons encore dans les monumens du passé, nous en rions chez nos contemporains. M. Corelli a succombé ; mais aussi, au lieu de raconter simplement, pourquoi à tout propos ce luxe d’une érudition facile, ces descriptions de lieux qui seraient mieux placées dans un dictionnaire de géographie ou un guide des voyageurs ? Pourquoi remonter jusqu’à la conjuration des Pazzi et paraphraser les historiens, en leur ôtant tout leur intérêt, tout leur éclat ? Glose de Nardi et des autres annalistes florentins, ou réminiscence mal déguisée d’un drame de M. Revere (I Piagnoni e gli Arrabbiati), le livre de M. Corelli n’est ni une histoire ni un roman ; c’est une série de scènes sans lien, une galerie de personnages monotones qui se ressemblent tous, et que l’auteur emprunte sans façon à ses devanciers. Sa Lora n’est-elle pas une pâle et maladroite copie de la Selvaggia de M. d’Azeglio ? Savonarole du moins est consciencieusement étudié, mais l’exécution est faible, et je retrouve bien mieux le hardi prédicateur dans les pages naïves et partiales de ses disciples immédiats.

On le voit, détourné de sa poétique naturelle et primitive, le roman historique en Italie n’a presque plus rien du roman ; il ne doit rien à l’art, c’est une chronique de seconde ou de troisième main, moins le charme que la naïveté jette sur les vieux récits. C’est donc une forme usée aujourd’hui. Manzoni avait donné un modèle presque accompli ; chacun aussitôt tint à honneur de marcher sur ses traces, et tous, comme s’ils s’étaient donné le mot, se montrèrent infidèles à ce que sa méthode a de plus essentiel, de plus vrai, de plus délicat, de plus élevé. Manzoni prend l’histoire non comme un thème, mais comme le lien des personnages qu’il veut faire mouvoir ; il