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consacré sa vie à combattre pour l’indépendance de la patrie. Il change de costume et d’armes, mais il est toujours sur la brèche : romancier quand il a quitté l’épée, homme d’état quand il a posé la plume, toujours actif, dévoué, convaincu.

Deux romans ont marqué la place de M. d’Azeglio au premier rang après le maître. Ettore Fieramosca, le premier-né de cet élégant esprit, donnerait toutefois de lui une idée très incomplète, quoique cet ouvrage ait eu en Italie un succès populaire. Le fait d’armes de Barletta, ce combat chevaleresque entre Italiens et Français[1], lui a fourni une occasion de flatter quelques vieilles rancunes qu’il eût mieux valu laisser dormir. C’est une réhabilitation un peu suspecte du courage des Italiens. La légèreté avec laquelle nous parlons souvent de la bravoure italienne peut seule excuser l’importance qu’on attache en Italie au défi de Barletta, comme au roman qui en a popularisé le récit. Qu’il me soit permis de le dire cependant : les descendans des Piccinini, des Malatesta, des Braccio de Montone, des Ferrucci, les compatriotes des défenseurs de Venise et de Brescia n’ont pas besoin de s’attacher à si peu de chose; leur passé et leur présent nous répondent de l’avenir.

Si M. d’Azeglio n’avait publié qu’Ettore Fieramosca, il jouirait à juste titre de la faveur publique en Italie, mais il n’aurait pas obtenu des hommes de goût cette estime réfléchie et motivée à laquelle Niccolò des Lapi lui donne d’incontestables droits. Ettore Fieramosca était un hommage rendu au goût gothique du temps pour les tournois et les défis du moyen âge; Niccolò des Lapi est un heureux retour à une esthétique moins banale. « On trouve partout, dit l’auteur dans sa préface, le récit des guerres et des événemens politiques; » mais la vie intime, les passions de ces hommes qui ont tous joué leur rôle, avec ou sans éclat, sur la scène du monde, voilà ce qu’on ne trouve à peu près nulle part, et ce que M. d’Azeglio a voulu nous faire connaître en se plaçant à une des époques les plus touchantes et les plus glorieuses de l’histoire de Florence. Là les hommes les plus obscurs sont dignes qu’on recherche leurs actes, et leurs actes donnent du prix à leurs moindres sentimens. Comment ne pas admirer cette race énergique qui croit aux promesses d’un moine pendu et brûlé par elle, et qui y croit au point de résister à la famine, à la peste, à la trahison ? Fous, si l’on veut, mais fous sublimes, qui, sous le règne de la violence, ont voulu, au péril de leur vie, croire à la force du droit !

Ce n’est pas que Niccolò des Lapi soit une œuvre accomplie. On pourrait sans doute reprocher au style des tours trop exclusivement piémontais, regretter que l’auteur ait trop d’esprit pour s’émouvoir facilement, signaler enfin une certaine vulgarité dans les combinaisons de l’intrigue et dans la plupart des caractères; mais je reprocherais surtout à M. d’Azeglio de n’être

  1. Les deux historiens qui rapportent cette affaire, Paul Jove et Guicciardin, ne tombent pas d’accord. Le premier, que suit M. d’Azeglio, donne tous les torts aux Français. Le second, sans dissimuler leur défaite, met la provocation et les bravades du côté de leurs adversaires. Or on sait à quel point l’autorité de Paul Jove est contestable. Quant au défi même, faut-il y attacher tant d’importance, puisqu’un de nos champions était piémontais, et que Bayard, quoique présent, ne fut pas appelé à prendre part au combat ?