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véritable langage; il nous émeut, il nous arrache des pleurs, il nous fait aimer ses personnages et lui plus qu’eux tous, parce qu’on sent bien que c’est son âme qui les anime. Aussi, malgré les longueurs, les hors-d’œuvre et les invraisemblances, ce livre mérite une place distinguée parmi les romans de l’Italie contemporaine.

Grossi avait donné au roman historique une sorte de grâce élégiaque. M. Cantù y fit, comme M. Rosini, mais avec plus d’habileté, dominer l’érudition. Son roman de Margherita Pusterla est assez estimé en Italie, et digne à certains égards de sa réputation. Les tragiques aventures que M. Cantù raconte dans cet ouvrage fournissent un motif à des scènes pathétiques plutôt qu’à un roman. Si la douleur abonde, les passions manquent, ou du moins sont trop nécessairement et trop constamment les mêmes. Dès le premier moment, le sort des victimes est décidé, et si le lecteur voulait à toute force concevoir quelque espérance, M. Cantù s’empresserait de la lui ôter, en l’avertissant que l’histoire qu’il raconte est semée de malheurs. Le roman se réfugie donc dans les épisodes, et c’est là un défaut; mais, pris à part, il est tel de ces épisodes qui forme une remarquable nouvelle et donne une haute idée du talent de l’auteur. M. Cantù traite d’ailleurs la lettre de l’histoire avec un respect digne d’éloges. Il a en outre une connaissance parfaite du caractère de l’exilé politique et un sentiment très prononcé de l’inaptitude civique du vulgaire. Margherita Pusterla date presque de vingt ans, et néanmoins ce livre semble écrit d’hier, tant il porte l’empreinte de la triste réalité, telle que les évènemens nous l’ont faite. Voyez-vous le pauvre exilé se figurant que tout le monde va s’armer pour lui rendre une patrie ? Devinez-vous sur son front ridé les sentimens acerbes auxquels s’ouvre son âme ulcérée ? Le jeune patriote s’indigne de voir, malgré les malheurs publics, les paysans poursuivre leurs travaux, les commerçans vaquer encore à leurs affaires, tous les citoyens savourer comme auparavant les paisibles joies de la famille! Il s’étonne que ces hommes, qui auraient gémi si la grêle avait détruit leurs moissons, restent insensibles à l’oppression de la patrie, à l’exil de ses défenseurs ! Il voudrait battre ces enfans qui suivent avec joie les soldats, leurs trompettes et leurs tambours! N’est-ce point là un douloureux et véridique portrait ?

M. Cantù parait avoir puisé dans l’intimité de Manzoni et de Grossi ses meilleures inspirations; il n’est pas le dernier à qui cette intimité ait porté bonheur. A cet historien succéda bientôt un homme qui n’avait guère connu de la nature et de la fortune que leurs plus aimables sourires. La nature l’avait fait artiste; sa bonne fortune le fit gendre de Manzoni, soldat, député, ministre même. La politique a jeté sur M. Maxime d’Azeglio un éclat dont son nom n’avait pas besoin pour franchir les Alpes; son triple talent de peintre, de romancier, de poète aurait assuré sa réputation. Ce qui est surtout digne d’éloges, c’est que, parmi tant d’aptitudes ou de fonctions diverses, il ait su donner de l’unité à sa vie. Imitateur de Manzoni, non par disette d’esprit, mais par piété filiale, il a su se défendre, grâce à ses habitudes actives, d’imiter cette résignation au mal que je ne veux pas appeler chrétienne, parce que, dans l’état où se trouve aujourd’hui l’Italie, elle ne saurait être une vertu. Avant tout, M. d’Azeglio est Italien. Plus que tout autre il a