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appartiennent à des climats brûlants ou glacés. Cette barrière, élevée par la nature à l’humeur envahissante de l’homme, est très sérieuse ; mais voyons si des raisons semblables ne s’opposaient point à la conquête de nos anciennes races domestiques, et cherchons de quelle manière l’homme s’y est pris pour effacer les limites géographiques dans lesquelles ces mêmes espèces, à l’état sauvage, étaient emprisonnées. L’histoire nous apprend que nos animaux originaires des contrées chaudes n’ont pas brusquement changé de patrie ; ils n’ont point sauté d’un bond du midi au nord ; ils ont suivi la marche lente, régulière, graduée de la civilisation, qui s’avance pas à pas d’orient en occident, mais qui avance toujours. C’est par les rivages de la Grèce que le faisan de la Colchide et le paon de l’Inde se sont répandus dans toute l’Europe ; la pintade et le furet, tous deux Africains, ont été naturalisés, l’une en Italie, l’autre en Espagne, puis en Languedoc et en Provence, avant d’arriver jusqu’à nos contrées froides, où la pintade orne nos basses-cours et où le furet réprime la trop grande multiplicité des lapins. Ainsi la voie est tracée. Si, comme il est permis de l’espérer, l’exemple donné par l’Angleterre et par la Belgique est suivi en Europe ; si des jardins zoologiques, à l’instar de ceux de Londres, de Liverpool, d’Anvers, de Gand, de Bruxelles, se fondent d’ici à quelques années dans d’autres villes plus aimées du soleil, et si, mariant l’histoire naturelle avec l’économie politique, ces établissements ajoutent à un but de plaisir un but d’utilité, la conquête du règne animal pourra faire de sérieux progrès. Supposons, par exemple, deux jardins zoologiques situés l’un dans les environs de Venise et l’autre à Lisbonne : ces deux écoles d’acclimatation transmettraient, au bout d’un certain nombre de naissances, leurs élèves et le résultat de leurs essais à Marseille ou à Bordeaux, qui correspondraient avec le Muséum d’histoire naturelle de Paris, mis lui-même en relations avec les jardins zoologiques d’Angleterre ou de Belgique. La race nouvellement acquise par les soins de la science s’avancerait ainsi, d’étape en étape, vers une naturalisation européenne. Dans cette marche graduée, elle suivrait le même chemin géographique et parcourrait les mêmes phases mobiles de température que nos anciennes races domestiques ont traversées ; seulement cette marche artificielle serait accélérée par les lumières et par l’action de l’hygiène pratique.

Dans cette série de carnassiers auxquels nous demandons des auxiliaires, il existe un animal qui pourrait nous rendre de grands services : c’est le phoque. Intelligent, doux, affectueux, il a toutes,les qualités qui prédisposent à l’état domestique. À Dijon, chez le directeur du cabinet d’histoire naturelle, vivait il y a quelques années un phoque tellement apprivoisé, que cet habitant des mers avait