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aux deux extrémités de l’échelle, d’une part l’uniformité, de l’autre la variété. Ce qui distingue les races humaines primitives, c’est la ressemblance des individus entre eux ; il n’y a pour ainsi dire chez elles qu’un homme et qu’une femme. Cette observation n’a point échappé au génie de Tacite, lorsque, parlant des Germains, il dit : Habitus quoque corporum, quanquam in tanto hominum numero, idem omnibus. Ces races pures et uniformes ont des animaux qui leur ressemblent, c’est-à-dire des animaux également représentés par un type unique. Dans les civilisations ébauchées, il n’y a pour ainsi dire qu’un cheval, qu’un chien, qu’un âne, qu’un mouton. L’homme crée la variété dans sa race et dans les espèces domestiques en substituant à l’uniformité primitive donnée par la nature un système de croisements utiles. Ainsi, dans une ménagerie où les espèces sauvages seraient mises en regard des espèces domestiques et de leurs différents degrés de formation, tel genre qui, au point de départ, serait représenté par un ou deux types au plus, finirait par aboutir, vers la fin de la série, à un nombre très considérable de types engendrés les uns des autres. Ainsi se dessinerait en relief, et pour ainsi dire dans la vie, cette grande loi : — tout se ressemble en sortant des mains de la pâture ; tout diffère en sortant des mains de l’homme civilisé.

Ce n’est pas tout : dans les civilisations simples, les animaux se montrent capables d’un ordre unique de services en rapport avec leurs instincts primitifs ; dans les civilisations compliquées, les animaux domestiques se montrent capables de services nombreux et diversifiés, de plus en plus en rapport avec les besoins de l’homme. Chaque fonction nouvelle constitue un progrès qui n’efface point les progrès antérieurs, mais qui les continue et qui superpose des facultés acquises à des facultés naturelles. Pour ne regarder ici qu’aux grandes divisions, nous retrouvons les trois âges primitifs de la civilisation gravés dans trois variétés inférieures de la race canine : — le chien de chasse, état sauvage ; — le chien de berger, état pastoral ; — le chien de garde, naissance de la propriété. La division du travail, l’inégalité des conditions sociales, la différence d’éducation, de nourriture et de soins hygiéniques parmi les différentes classes de citoyens, tous ces faits qui se produisent à la naissance des états, s’écrivent en traits multiples dans les caractères des races domestiques et engendrent des variétés de services dont la somme constitue la richesse agricole et industrielle des nations. L’histoire des animaux domestiques, c’est l’histoire de l’organisation du travail.

Cette sorte d’épopée économique, où la poésie des faits aurait bien vite remplacé la sécheresse des classifications et la froideur des conjectures, conduirait naturellement le spectateur à un nouveau