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et commanda un régiment au camp de Boulogne. La vie militaire devenait l’initiation nécessaire au rôle assigné déjà par le premier consul à ceux que le sang avait associés à sa destinée en les associant à sa personne. La pensée dynastique obséda Napoléon dès l’aurore de l’empire, car il conçut d’emblée et presque d’un seul jet, nous croyons l’avoir établi, les gigantesques plans qu’il allait mettre huit années à accomplir. Cet homme qui ne respirait à l’aise que sur un trône ne pouvait rien souffrir d’obscur autour de lui, car cette obscurité aurait rejailli sur lui-même. Force était ou de grandir avec lui ou de lui demeurer étranger, et pour rester son frère, il fallait devenir un roi.

Sous le consulat, Joseph avait refusé avec une persistance honorable la présidence du sénat, dont il était membre, s’effrayant d’un fardeau que d’autres lui paraissaient plus propres à porter. S’il avait le goût de l’influence, il n’avait point celui des affaires, et sa réserve naturelle repoussait la responsabilité qu’elles imposent. Il jouissait d’ailleurs avec plénitude de l’existence élégante et facile qu’un riche mariage lui permettait de mener à Mortefontaine. Il aimait le commerce des gens de lettres, et, selon l’esprit de la société formée sous l’influence de Jean-Jacques et de Bernardin de Saint-Pierre, il combinait ce goût-là avec celui de la vie champêtre : double disposition destinée à être étrangement trompée par le sort, mais qui, se réveillant chez Joseph Bonaparte à chacune des épreuves de sa vie, servit à consoler ses derniers jours.

L’empire était à peine constitué, que la république cisalpine proposait un trône au frère aîné de l’empereur, offre que Joseph déclina résolument, soit qu’il considérât comme précaire encore l’existence du nouveau royaume fondé dans la Haute-Italie, soit, ainsi qu’il le déclare, qu’il ne voulût point paraître infirmer, par l’acceptation d’une souveraineté étrangère, la valeur du plébiscite qui l’avait désigné pour la succession impériale.

Ce refus paraît d’ailleurs n’avoir aucunement contrarié Napoléon, dont la pensée était déjà de mettre sur sa propre tête cette couronne de fer qu’il alla bientôt prendre à Milan; mais l’empereur aurait été loin d’accueillir avec la même indifférence des objections qui seraient venues contrarier ses projets sur le royaume des Deux-Siciles, lorsqu’il entrevit, à la fin de 1805, la possibilité d’en disposer. En appelant une flotte anglo-russe à Naples au mépris d’une convention de neutralité récemment signée avec la France, la reine Caroline avait fourni au vainqueur d’Austerlitz l’une des occasions qu’il recherchait avec le plus d’ardeur; elle l’avait mis en mesure de profiter des fautes commises par les princes de la maison de Bourbon pour leur substituer sa famille, et pour commencer le vaste établissement