Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/659

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Outre le discernement, tout cela révèle une indépendance de sentiment qui mérite d’être relevée, et les choix faits sous cette double inspiration prennent une valeur et un poids dont il est bon de leur faire honneur.

A cela toutefois nous avons certaines réserves à faire, ou du moins nous devons dire que ce goût se tient dans des limites assez arrêtées. Ainsi, tandis que le paysage est loin de figurer en première ligne dans les salons parisiens et dans les affections du public français, c’est le contraire qui a lieu à Londres; ce sont les paysages qui forment la grande majorité des tableaux achetés, et cette préférence des amateurs nous paraît donner assez juste la mesure du développement plastique du pays. Pour être sensible à la plupart des qualités d’un paysage, il suffit d’avoir le goût médiocrement formé, il suffit d’avoir en général le sentiment de la poésie; celui de la peinture n’est pas indispensable. Quant au paysagiste lui-même, le succès lui est comparativement facile. Avec la même somme de travail qui ne mènerait pas à bonne fin la moindre composition à figures, il peut, dans sa spécialité, atteindre à des résultats déjà fort savans. Il est donc à présumer que la préférence pour le paysage correspond à une phase inférieure du sens plastique, et que l’amour de la figure dénote à la fois et une pénétration artistique plus étendue et une culture de plus vieille date. En France, c’est la figure qui a toujours été le principal but des peintres et l’objet principal des études. La tradition classique et les influences académiques ont sans doute contribué pour beaucoup à cette direction de l’école, comme elles ont été pour beaucoup dans la raideur et l’apparat convenu de l’ancien paysage français; mais, quoi qu’il en soit, ces courans ont déposé leur limon, ils ont propagé l’instruction supérieure en fait d’art, ils ont répandu plus au large les préoccupations ou les habitudes qui permettent d’apprécier avec un certain raffinement les branches sévères de la peinture, et ce passé, qui n’a pas eu d’analogue en Angleterre, nous donne en grande partie la clé des contrastes que présentent les deux écoles. Le goût anglais semble plus restreint, quoique moins appris et plus naturel; le goût en France est plus général, plus cultivé et plus porté au grand.

Comme on peut s’y attendre, ces dispositions des deux peuples ne sont pas sans se traduire dans la physionomie de leurs expositions; toutefois c’est seulement en scrutant de près que l’on découvre toute la portée et la gravité de la dissemblance. Il en est de ces choses comme des deux nations elles-mêmes : à première vue, on s’aperçoit qu’elles ne se ressemblent pas, et plus on les connaît à fond, plus on découvre entre elles d’oppositions radicales. Qui sait du reste si, en creusant assez avant, on ne reconnaîtrait pas que leurs destinées