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cette lumière qui ne peut s’éteindre! » Lara hausse les épaules en ricanant. « Aussi vrai que Victorian est son amant aujourd’hui, aussi vrai je le serai demain, n’assure-t-il. Et là-dessus on se sépare.

L’invention, on le voit, a peu de chose à faire dans tout ceci; mais au point où nous en sommes, le lecteur sérieux ne doit pas chercher dans la donnée de l’écrivain cette nouveauté superficielle qui résulte uniquement des combinaisons de l’intrigue. Le nœud de la pièce de Longfellow se trouve un peu partout. Une tentative obstinée de séduction repoussée, des apparences trompeuses qui condamnent la jeune fille innocente, le désespoir de l’amant, qui s’éloigne de celle qu’il aimait, puis sa découverte de la vérité et son union avec l’unique être qui ait jamais régné sur son cœur, et à qui sans hésiter il donne alors son nom, — voilà des incidens que nous connaissons tous fort bien, mais la manière de les traiter les remplit d’un intérêt réellement neuf. Je n’en veux pour preuve que la première scène entre Victorian et Préciosa. L’entrevue de deux amoureux! un love-scene! disent les Anglais, Dieu sait avec quel accent de méfiance et d’effroi, et cependant on ne peut nier que Longfellow n’ait réussi dans cette entreprise si difficile. « L’air chargé des parfums du lilas » a rarement recueilli plus jolies confidences que les aveux murmurés par la gitana et le jeune étudiant. Il y a un passage notamment qui m’a toujours semblé délicieux. Victorian rappelle à sa bien-aimée leur première rencontre; c’était un dimanche, sous les orangers, sur la place de la cathédrale à Cordoue. Ils ne se parlèrent point, mais au moment où de l’intérieur de l’église vint le signal de l’élévation, tous deux s’agenouillèrent simultanément et prièrent. Préciosa raconte qu’en s’en allant seulement, l’étranger qu’elle aimait déjà lui adressa un mot : Adieu! « Oh! s’écrie-t-elle, je pensais ne te revoir jamais! » Victorian demeure pensif un moment et comme frappé par ce souvenir. «Adieu! répète-t-il lentement; — la première parole dans l’hymne de l’amour, un adieu! — à peine plus que le silence, et pourtant... quelle vibration!... quelle invisible main touche alors les cordes de l’âme, cette lyre mystérieuse! quels sons s’en échappent, préludes de l’avenir! quelle voix prophétique entendons-nous! »

Préciosa le tire de sa rêverie, et comme la plupart des femmes vraiment aimantes, mais simples, elle part du sentiment de sa propre infériorité intellectuelle pour redouter l’inconstance de son amant. « Qu’as-tu à douter et à t’inquiéter ? répond l’étudiant (lequel, notons-le en passant, est en fait de science la gloire de l’université d’Alcala) ; le cœur, non l’intelligence, voilà ta vraie richesse. L’intelligence est condamnée à une limite, et seule la passion est infinie, inépuisable, dis-le-toi bien. Moi, que tu exaltes, que suis-je en regard