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mais aussi elle ne se condamne point à toujours aspirer. Voyez plutôt sa profession de foi dans Hypérion : « Je ne vois pas le charme que peut avoir le visage pâle et ridé du passé pour que l’âme d’un jeune homme s’en éprenne. J’aimerais autant m’amouracher de ma grand’mère! Donnez-moi l’heure présente, où vermeille et brûlante la vie palpite; — elle est ma maîtresse ! — Quant à l’heure qui est à venir, elle m’attend, ainsi qu’une épouse future pour qui, à vrai dire, je ne sens rien jusqu’ici. Ah ! mon ami, étudiez donc davantage cette philosophie-là, et ne gaspillez pas la période dorée de la jeunesse dans de stériles regrets pour le passé et dans de vagues et indéfinies aspirations vers un avenir inconnu! » Ces paroles, je m’estime autorisé à les traiter de « profession de foi, » parce que j’en retrouve le sens dominant partout où Longfellow s’affirme le plus, est le mieux lui-même. Quelle est par exemple l’épigraphe d’Hypérion ? « Ne regarde pas mélancoliquement le passé. Il ne revient pas. Cultive le présent. Il est à toi. Affronte l’avenir sans crainte et d’un cœur ferme. » L’avenir indiqué là n’a rien de commun avec Y inconnu vers lequel aspire Excelsior. Il s’agit seulement de l’avenir tangible, réel, du demain d’aujourd’hui et nullement de l’autre rive, comme disent les Allemands, du jenseits. Point de mystiques spéculations, ni d’aspiration vague, — une exhortation à la lutte, à la persistante énergie, — voilà, je pense, ce qu’il faut regarder comme la vraie doctrine de Longfellow.


« Ne me dis point, dans tes chants attristés, ne me dis point, psalmiste, que la vie n’est qu’un rêve...

« La vie est réelle, la vie est grave... Dans ce vaste champ de bataille du monde, dans ce bivouac éternel, n’appartiens pas au troupeau muet, stupide, asservi, — troupeau de bétail s’il en fut, mais sois donc un héros dans la mêlée !

« Jouissance ! souffrance ! Non; ni l’un ni l’autre n’est le mot de la destinée de l’homme... Agir, agir afin que chaque lendemain se trouve plus avancé que la veille, — voilà sa mission. »


Se refusera-t-on à voir là l’hymne de l’activité humaine, l’apothéose de la Thœtigkeit de Faust ? Et je tiens à constater ceci par tous les moyens possibles, attendu que les plus grands admirateurs de Longfellow ont voulu voir en lui une espèce d’élégiaque, un rêveur à la façon allemande. Longfellow est mieux que cela, et les nombreux travaux qui se sont succédé sur lui en Angleterre ont tous, selon moi, trop peu compté ses qualités purement et exclusivement américaines.

Les œuvres lyriques de Longfellow peuvent être, je crois, divisées en trois catégories : les poésies domestiques ou intimes, les ballades ou récits, et les poésies philosophiques et élégiaques. Un exemple nous suffira pour caractériser chacun de ces groupes.