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jamais consenti à se séparer des attributs extérieurs de la souveraineté, même aux jours où ceux-ci n’étaient plus qu’un embarras pour sa personne et qu’une aggravation pour ses souffrances. Il imposait à Sainte-Hélène aux compagnons de son exil une étiquette aussi stricte qu’à Erfurt et à Dresde, et chacun sait que le refus du titre impérial par le gouvernement anglais devint la cause première des tortures où s’éteignit sa vie. Qu’il y a loin de ce personnage qui ne délasse jamais son front du poids de sa couronne d’épines au bon jeune homme dont les premières lettres de cette correspondance nous révèlent la laborieuse jeunesse et les naïves affections ! L’élève reconnaissant de l’abbé Recco, l’ami de Desmazis qui empruntait trente mille francs pour sauver sa mère, le jeune officier qui remplissait de la lecture du Contrat social ses soirées de garnison, et qui consignait les tendresses de son âme et les généreuses illusions de sa pensée dans des écrits d’une simplicité touchante, cet homme-là, tout entier à ses devoirs de famille et à ses rêves démocratiques, ne saurait être soupçonné dans le fier correspondant impérial qui transmet à celui qui avait été si longtemps son frère bien-aimé des ordres que ne tempère aucune expression de tendresse; il n’existe déjà plus dans le général Bonaparte, sitôt que celui-ci est appelé au commandement en chef de l’armée d’Italie. La transition entre la nature première et la nature artificielle s’opère soudainement, presque à vue d’œil, à l’instant même où Napoléon prend dans les affaires de son pays une place prépondérante et commence à pressentir ses destinées.

Ce qui domine d’abord dans le second fils de Charles Bonaparte, soit qu’on l’observe à Brienne dans les labeurs d’une adolescence sérieuse, ou qu’on le suive à son retour en Corse au milieu des soins qu’il consacre avec Joseph aux intérêts de sa nombreuse famille, ce sont d’une part des sollicitudes domestiques très actives, de l’autre des croyances fort ardentes, empruntées aux publicistes de son temps, sur la liberté politique et l’efficacité des formes républicaines pour assurer le bonheur des peuples. Fils dévoué d’une mère à laquelle une mort prématurée a légué un lourd fardeau, le jeune Napoléon pense beaucoup à ses affaires et davantage encore à celles des siens; au point de vue politique, c’est un disciple dogmatique de Rousseau et de Raynal. Tel on le voit à Toulon utilisant avec un savoir-faire tout méridional son premier succès et la bienveillance de quelques membres de la convention pour se grandir lui-même et pour assurer la position de tous ses frères, — tel on le retrouve à Paris au 13 vendémiaire, prenant possession de sa grandeur par un éminent service rendu à la cause républicaine, mais conservant encore devant les premiers sourires de la fortune une attitude remarquable de modération et de prudence. De touchans témoignages de confiance