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La mélodie qui accompagne ces vers est d’une grâce exquise. Le mouvement plus rapide qui succède à cet adagio :

La lune brille,
L’herbe scintille, etc.


forme un contraste bien ménagé avec le premier motif, dont le retour produit un effet délicieux. A notre avis, c’est là le meilleur morceau de la partition, et peut-être indique-t-il dans quel ordre d’idées et de sentimens M. Gounod doit se maintenir. — L’entrevue de Rodolphe et de la nonne sanglante qui vient lui demander l’accomplissement de ses sermens est la scène la plus intéressante de l’ouvrage, et le compositeur s’en est assez bien inspiré :

Me voici, — moi, ton supplice ! —
J’ai ta foi, — j’ai ton anneau! —
Le ciel veut qu’on accomplisse
Les sermens faits au tombeau.

Ces quatre vers forment un beau récitatif mesuré dans le style élevé et pathétique de Gluck, et Mlle Wertheimber, qui joue le rôle de la nonne, les déclame avec une émotion contenue qui lui vaut des applaudissemens mérités.

On remarque au quatrième acte la musique très élégante du divertissement et le finale, où M. Gounod a saisi de nouveau l’occasion d’écrire un beau morceau d’ensemble qui se termine par une stretta moins bien réussie que le commencement. Le cinquième acte est fort court. On peut y signaler un air de baryton que chante le père de Rodolphe.

Nous avons indiqué toutes les parties remarquables de la nouvelle œuvre de M. Gounod : — au premier acte, le beau chœur : C’est Dieu qui nous appelle, puis le duo entre Rodolphe et Agnès, qui renferme surtout une phrase d’une exquise élégance, et le finale, dont l’andante est largement dessiné; — au second acte, l’intermède symphonique d’une couleur vraiment idéale, quelques passages du duo entre Rodolphe et son page Urbain; — au troisième acte, le bel air de Rodolphe, le meilleur morceau de la partition, et la scène de la nonne et de Rodolphe; — au quatrième acte, la musique facile et très élégante du divertissement, et le finale, qui produit un grand effet. Si maintenant nous cherchons à saisir le caractère dominant de l’œuvre que nous venons d’analyser, nous dirons qu’elle se distingue bien plus par l’élégance et l’élévation du style que par l’originalité des idées. On y sent tour à tour l’influence de Gluck, de Weber, de Mendelssohn, de Meyerbeer et même de M. Berlioz, à qui M. Gounod a emprunté quelques petits effets de sonorité, les seules choses qu’on puisse extraire des étranges symphonies de ce compositeur drolatique, comme on l’a si heureusement qualifié[1]; et loin de reprocher à M. Gounod cette tendance à prendre son bien partout où il le trouve, selon la belle expression de Molière, nous aurions plutôt désiré qu’il se

  1. Dans un excellent article de M. Louis Veuillot, sur le Requiem de M. Berlioz, — morceau plus fort que celui de Mozart, parce qu’il y a plus de trombones!