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fait intervenir la Providence pour expliquer comment l’Oraison funèbre de Jean-Gilles Bricotteau a perdu la popularité qu’elle a eue autrefois, comme quoi cette décadence est juste, on ne sait plus bien exactement s’il reste sérieux ou s’il veut s’égayer, et il est à craindre qu’il ne travaille pas à diminuer notre réputation de peuple facétieux, comme aussi on n’eût point mis en doute à coup sûr l’orthodoxie de l’historien des livres populaires, lors même qu’il n’eût pas fait des professions de foi politiques à propos d’un almanach, et qu’il ne se fût pas cru tenu à des réserves en faveur du fond de quelques mauvais vers faits à la louange du prince qui était alors président. M. Charles Nisard poursuit ainsi sa marche assez pesante à travers bien des choses frivoles ou vulgaires, et il n’est pas beaucoup plus heureux, ce nous semble, quand il touche à la mémoire de l’empereur Napoléon Ier et aux hommages qui lui sont rendus dans les livres populaires. Que l’historien de la littérature du colportage se félicite de voir ces hommages se multiplier, rien n’est plus simple ; qu’il y voie le fait d’un retour de la France condamnant « sa propre ingratitude et cherchant à l’ensevelir sous la masse imposante des réparations, » c’est là ce qui peut sembler singulier. M. Charles Nisard n’a point vécu sans doute depuis quarante ans, ou bien il n’a ni vu ni lu tout ce qui s’est fait dans cet intervalle durant lequel a régné une si étrange émulation d’apothéose impériale, et c’est ainsi qu’il arrive aujourd’hui à formuler avec solennité des jugemens historiques qui égalent au moins ses théories sur l’intervention de la Providence dans les affaires du colportage.

Ce n’est point que le livre de M. Nisard n’offre en lui-même bien des parties curieuses. C’est, comme nous le disions, le triste et trop véridique inventaire de toutes ces richesses littéraires dont on soupçonne à peine l’existence, de cette masse de livres cent fois réédités depuis trois siècles, et dont la fortune se fonde sur la crédulité populaire. Sciences occultes, prédictions astrologiques, art de tirer les cartes, cabale, légendes mystiques, épistolaires, recettes pharmaceutiques, civilité puérile et honnête, vies de personnages fameux transfigurés par la tradition, types populaires, tout cela se mêle ; voilà ce qui a nourri l’intelligence du peuple jusqu’au jour où à cette substance vulgaire et malsaine sont venues se joindre les prédications du fanatisme révolutionnaire, mises à leur tour sous une forme familière. M. Nisard ne néglige rien ; il analyse ces produits presque comme il ferait de l’Esprit des Lois. Seulement, en sondant cette plaie profonde, il ne dit point ce qu’il y aurait à faire. L’histoire qu’il a péniblement composée est un ouvrage de peu de critique et sans conclusion, à moins qu’il ne faille voir un indice de l’idéal de l’auteur en fait de livres populaires dans le regret qu’il exprime devoir la Danse macabre retirée de la circulation. Qu’y a-t-il donc à faire ? direz-vous. La commission dont M. Nisard fait partie, par son existence même, par la charge qu’elle a d’arrêter au passage les livres mauvais, ne répond-elle pas à tout ? Oui, sans doute ; mais quels sont les mauvais livres et quels sont les bons livres ? Pour tout dire. M, Nisard a négligé la seule question sérieuse qui pût naître d’un tel travail ; il est resté en dehors du terrain où semblait le conduire ce long voyage à travers tant d’inventions oiseuses ou perverses, et ce terrain, c’est la création d’une véritable littéra-