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con- avec les ambassadeurs de la France et de l’Angleterre dans un autre intérêt que celui d’une ambition trop longtemps tolérée.

y a là une grande et dure leçon pour un orgueil qui jamais, depuis trente ans, n’avait été mis à une pareille épreuve, et c’est un affaiblissement réel pour cette puissance russe, dont le prestige moral était un élément si considérable. Le tsar doit amèrement regretter d’avoir forcé la France et l’Angleterre à s’approcher du géant et à le mesurer. De loin, nous aurions continué à le croire plus redoutable ; major è longinquo reverentia. La Prusse elle-même, qui le ménage tant, s’enhardit quelquefois à lui tenir un langage que le cabinet de Saint-Pétersbourg n’aurait pas souffert il y a deux ans. On parle d’ultimatum qu’elle aurait signifié : nous ne le croyons pas ; mais qu’elle ait fait des représentations très vives, c’est ce qui nous paraît tout simple. On ne les lui pardonnera pas mieux que les résolutions plus tranchées de rAutriche. Ce devrait être pour le cabinet de Berlin une raison de plus pour s’associer à une politique qui travaille à mettre la Russie hors d’état d’en demander compte de longtemps.

De cet ensemble de traits propres à caractériser l’état de l’Europe, des faits les plus actuels aussi bien que des faits qu’il est facile de pressentir, il résulte une vive et forte impression : c’est qu’on ne fut jamais peut-être plus près de grands et sérieux événemens. Quelle influence ces événemens pourront-ils avoir sur la prospérité et le développement intérieur de chaque pays ? C’est ce qu’il serait difficile de dire. Matériellement sans doute la guerre ne se fait pas sans laisser quelques traces dans le commerce, dans l’industrie, en un mot dans le mouvement tout entier de la richesse publique. Les ressources mêmes de l’état peuvent subir quelque atteinte, et il n’y a que simple prudence à le prévoir. Il pouvait être curieux à ce point de vue de connaître les premiers effets des complications qui sont venues troubler la paix du continent sur les revenus publics que leur nature rend plus variables. On en peut prendre une idée aujourd’hui d’après le relevé des recettes provenant des impôts et revenus indirects pendant les neuf premiers mois de cette année, c’est-à-dire dans la période même où la guerre a éclaté. Toute balance faite des augmentations et des réductions des divers revenus, il se trouve que la recette des trois premiers trimestres de cette année, comparée à la période correspondante de l’année dernière, a subi une diminution de 7 millions. C’est principalement sur le premier semestre que porte ce déficit ; les trois mois qui expiraient récemment n’y ajoutent qu’une somme insignifiante. Les revenus qui se sont trouvés diminués sont ceux qui proviennent des droits d’enregistrement, des droits de douane, des boissons, des sucres indigènes, et une partie notable de ces diminutions tient à des circonstances étrangères à la guerre. Les revenus dont le produit a augmenté sont le timbre, les sucres des colonies, les tabacs, la taxe des lettres. L’ensemble de ces résultats n’offre rien qu’il ne fût aisé de pressentir. L’essentiel est qu’il n’en ressort aucun symptôme sérieux de ralentissement. Par le fait, il y a dans le mouvement des choses matérielles un cours régulier qui se poursuit, et que la guerre n’interrompt pas sensiblement. La guerre a parfois en vérité des effets fort imprévus, qui ne laissent point de nous rappeler nos crises politiques intérieures, les révolutions par lesquelles nous sommes passés, toutes ces dis-