prouver, en imposant silence aux passions insensées de la coterie dont la Gazette de la Croix est l’organe, combien la droiture de son jugement et la modération de son caractère l’éloignent d’une rupture avec les ennemis de la Russie. Cet homme d’état aura, nous l’espérons, au moment décisif, tout le courage de son opinion. Nous sommes convaincus que, malgré de grandes difficultés, il saura ramener la politique prussienne dans la seule voie qui soit digne d’un gouvernement sage et indépendant, la seule aussi qui soit sûre au dehors et au dedans, car personne en Prusse ne braverait la crise que ferait éclater sa retraite.
Au milieu de ces tiraillemens, c’est avec une vive satisfaction que nous voyons le cabinet de Vienne persister honorablement dans tous les principes au nom desquels il s’est lié avec nous, et se refuser à circonscrire dans le cercle mesquin d’intérêts particuliers cette grande question d’équilibre européen et de sûreté générale. Il faut lui savoir gré de cette fermeté d’attitude, parce qu’elle creuse entre la Russie et l’Autriche un abîme de plus en plus profond, ce qu’on ne sent peut-être pas également partout. Il serait sans doute à désirer que la marche de cette puissance fût moins méthodique, et que dans la conscience de sa force comme de son droit elle prit le plus tôt possible une part active aux opérations militaires, sans se préoccuper autant des irrésolutions et des défaillances de ceux qu’elle serait sûre d’entraîner par une initiative hardie, ou qui du moins n’oseraient certainement pas l’inquiéter pendant qu’elle agirait de concert avec nous ; mais tout en regrettant que le cabinet de Vienne juge indispensable d’assurer chacun de ses pas avec une circonspection peut-être excessive, nous croyons à sa loyauté, et c’est une bonne politique d’y répondre par une juste confiance. Si l’empereur Nicolas ne se résigne pas à céder sans équivoque sur les quatre points solennellement proclamés comme le minimum des conditions de la paix, il semble impossible que l’Autriche ne soit pas très prochainement amenée, par le soin de son honneur et par la force des choses, à devenir aussi partie belligérante dans la guerre à outrance que nécessitera l’obstination de la Russie. Elle y rendra les plus grands services, on ne saurait le méconnaître, comme on ne saurait méconnaître non plus que son abstention prolongée affaiblirait d’une manière fâcheuse l’efficacité de nos efforts et en restreindrait le champ, ou pourrait même, d’entraînement en entraînement, imprimer à la guerre un caractère différent de celui qu’il est à souhaiter qu’elle conserve. Tout ce qui resserrera les liens de l’Autriche avec les puissances occidentales est donc, à ce point de vue, un avantage pour leur cause, un échec pour la Russie, qui se trouvera ainsi renfermée dans un cercle de plus en plus étroit, et forcée de s’avouer qu’elle lutte sans espoir contre la réprobation de toute l’Europe. Les rapports entre Vienne et Saint-Pétersbourg sont d’ailleurs arrivés au dernier degré de froideur ; au-delà, c’est une rupture ouverte, et malgré la présence des envoyés respectifs dans les deux cours, des préparatifs dont la direction est évidente continuent des deux côtés au milieu de récriminations d’une aigreur croissante. C’est un singulier spectacle où le désagrément est tout entier pour l’empereur Nicolas, dont l’inutile représentant à Vienne y voit le comte Buol se féliciter hautement des succès de nos armes en Crimée sur celles de la Russie, et multiplier ses con-