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dans sa dernière dépêche du 13 octobre. La Prusse se défend vivement au sujet de la manière dont elle a envisagé les propositions de paix du 8 août ; elle leur a donné tout son appui, et la preuve en est qu’après les avoir recommandées à Saint-Pétersbourg, elle a offert à l’Angleterre et à la France comme à l’Autriche de les consigner dans un nouveau protocole où elle interviendrait. Seulement, ajoute M. de Manteuffel, c’était a avec cette réserve expresse, que pas plus que dans la signature des protocoles précédens, le cabinet prussien n’y verrait l’obligation contractuelle d’une coopération militaire contre la Russie. » Dans le fait, les trois puissances ont dû penser que c’était assez de protocoles ainsi, et que l’adhésion de la Prusse dans ces conditions ne conduisait pas à un grand résultat. C’est là ce que le cabinet de Berlin appelle sa politique : — signer des protocoles, éviter les engagemens, et ne rien faire ! — La Prusse a cherché de son mieux à communiquer ses incertitudes et sa passion d’inaction à l’Autriche ; elle n’a point heureusement réussi. Le cabinet de Vienne, en effet, marche de plus en plus dans la voie de décision où il est entré, et au bout de laquelle est peut-être une aUiance plus étroite, plus effective avec l’Angleterre et la France dans un temps très prochain. Si on n’en est point là, l’Autriche vient tout au moins de manifester ses tendances par un acte qui prend une valeur singulière dans les circonstances présentes : elle vient de concéder à une compagnie à demi française, pour une somme de 200 millions, les chemins de fer autrichiens construits ou achetés par l’état, avec des mines, des forges et des forêts. Comment une telle opération serait-elle possible, si une dissidence politique sérieuse existait entre le cabinet de Vienne et la France ?

Tout sert ainsi à caractériser la position de plus en plus avancée de l’Autriche dans la crise actuelle ; il ne manque peut-être que son véritable nom à cette position vis-à-vis de la Russie. Si ce n’est point la guerre déclarée, ce n’est point la paix à coup sûr. Rien n’égale du reste, assure-t-on, l’irritation du tsar contre le gouvernement autrichien. Si l’empereur Nicolas se rend prochainement à Varsovie, ainsi que le bruit en a couru, il n’est point impossible qu’il n’adresse à l’Autriche quelque ultimatum, et même qu’il ne l’attaque ouvertement. La marche de la garde impériale russe, à laquelle faisait récemment allusion le cabinet de Vienne dans ses communications avec les cours allemandes, donnerait peut-être lieu de penser que ce n’est point là une hypothèse trop chimérique. Chose plus singulière ! ces deux puissances qui se touchent par la frontière de Pologne, qui se heurteront peut-être de ce côté, en sont aujourd’hui à rechercher le concours et l’appui des Polonais. Les efforts de l’empereur Nicolas dans ce sens ont amené le cabinet de Vienne sur le même terrain, et on va jusqu’à dire qu’un des chefs de l’armée autrichienne, allant il y a un mois à Cracovie, offrait un commandement à un général polonais qui a joué un rôle dans la révolution de 1831. On voit combien tout se prépare pour une lutte redoutable, qui pourrait embrasser à la fois l’Orient et l’Occident. Si on cherche à résumer cette situation, l’Autriche n’a plus qu’un mot à prononcer pour consommer sa rupture avec la Russie.

Les dangers du dissentiment qui s’est élevé entre la Prusse et l’Autriche ne pouvaient manquer d’éveiller la sollicitude des cours secondaires de l’Al-