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époques. Les richesses de cette abbaye, augmentées par de pieuses dotations, s’étendirent des deux côtés de la Seine, et rivalisèrent avec celles de Saint-Denis. Quillebœuf tout entier appartenait aux moines de Jumiéges. Une œuvre modeste des premiers habitans de l’abbaye atteste que depuis bien des siècles le régime de la rivière, ses crues, ses marées et le niveau de ses rives sont restés invariables. C’est une modeste jetée, haute seulement d’environ un mètre, et qui court sous les arbres fruitiers à une petite distance du rivage. Rien de mieux entendu, de mieux construit, de plus habilement dirigé que cette petite digue, dont le sommet fournit à peine un sentier pour un seul homme, et dont l’utilité égale la modestie. Quand on compare ce petit travail des ponts et chaussées monastiques avec l’orgueilleuse jetée de la Loire, œuvre des Romains, entre Blois et Tours, laquelle porte une route de première classe, on s’étonne de ce que peut la pauvreté aidée par la persévérance. La petite jetée de Jumiéges, n’ayant d’ailleurs été construite que tout juste à la hauteur nécessaire pour s’opposer à l’envahissement des eaux, nous sert de témoin qu’à l’époque où on l’éleva, les actions de la nature n’étaient ni plus fortes ni plus faibles qu’elles le sont maintenant.

Les rivières que reçoit la Seine, à partir de Rouen, sont d’un si médiocre volume, que l’augmentation des eaux du fleuve doit être attribuée principalement aux sources de fond qui viennent sourdre dans le lit même de la rivière. C’est là un fait dont l’art des ingénieurs profite aujourd’hui, et l’habile M. Belgrand, chargé de la navigation de la Seine entre Paris et Rouen, s’en est notamment préoccupé. Ce qu’on peut tirer de données théoriques et pratiques de ce mouvement des eaux, tant pour la culture des végétaux que pour l’élève des animaux, est vraiment incroyable.

Lorsqu’on remonte par la pensée aux temps primitifs du globe, c’est-à-dire à ceux qui ont précédé ou accompagné la dernière catastrophe qui a déterminé l’état actuel de la surface du globe, on ne peut guère se refuser, — en considérant la vallée encaissée de la Seine, avec de hautes falaises à droite et à gauche, tellement disposées que les saillans d’un côté correspondent aux rentrans de l’autre, — on ne peut guère se refuser, disons-nous, à l’idée d’un brisement de la couche qui forme le continent actuel, brisement qui a dû s’opérer de manière à laisser une vaste fente, une vallée profonde, comblée ensuite par les éboulemens des falaises voisines et par les dépôts fluviatiles.

La facilité avec laquelle, au-dessous de Quillebœuf, l’Océan crée et détruit des terrains rend vraisemblable toute formation de vallée renfermant un cours d’eau, surtout lorsque cette vallée s’ouvre sur l’Océan et en reçoit les eaux et les marées. Il y a quelques dizaines