Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouverneur furieux lui donna un violent coup de pied dans le ventre. Vochieri, malgré les chaînes qui le retenaient, lui cracha au visage. Par un raffinement de cruauté presque incroyable, on le fît passer pour aller à la mort sous les fenêtres de sa propre maison, afin que sa femme, sa sœur et ses deux jeunes enfans pussent contempler ce spectacle déchirant. Ce ne furent pas des soldats, mais des gardes-chiourmes qui furent choisis pour l’exécuter. Le gouverneur trouva convenable d’assister à l’exécution en grand uniforme et assis sur un canon. »


Cependant Lorenzo va, lui aussi, être arrêté, s’il ne fait diligence ou s’il n’est pas sauvé par quelque incident imprévu. Sa pauvre mère se précipite aux pieds de la madone : « Mère de miséricorde, s’écrie-t-elle avec une ferveur navrante, oh ! épargne-moi, épargne-moi celui-là ! Mais que la volonté de Dieu soit faite maintenant et toujours ! » Les officiers de police entrent, et le commissaire qui les précède donne lecture de l’ordre du gouverneur de Gênes, qui leur enjoint d’arrêter Camillo Benoni, avocat. Camillo est un des frères de Lorenzo, parfaitement innocent de toute participation au complot. Si cette méprise dure encore quelques jours, Lorenzo est sauvé. On fait en secret tous les préparatifs de départ, et le fugitif s’embarque… après quelles scènes ! — après les adieux de sa mère, après les adieux de Lilla, qui vient demander son pardon, après les convulsions de désespoir de la pauvre Santina, qui l’avait aimé en silence, naïvement et passionnément. Quel voyage aussi ! quelles alarmes ! Passer des nuits entières sans sommeil, se confier avec abandon à des hommes dont on n’est pas sûr, trembler à chaque instant qu’ils ne vous livrent, mieux que cela, qu’ils ne se débarrassent de leur responsabilité en se débarrassant de votre personne par quelque procédé expéditif ; se cacher dans des tanières comme une bête fauve traquée, passer des journées sous des tas de feuilles comme un reptile, traverser des torrens à la nage, toutes ces aventures et tous ces périls, Lorenzo les éprouva. La folie, l’insomnie, la faim, le danger de mort imminente, la dureté et l’indifférence des hommes, il eut à faire toutes ces expériences en quelques jours. Après avoir traversé le Var à la nage et avoir été jeté sur ses rives évanoui et sanglant, il arrive à Marseille et va trouver Fantasio. Fantasio l’embrasse et le regarde d’un air sombre. « J’ai été fort inquiet de vous, balbutia-t-il, et… Il s’arrêta et hésitait à parler ; enfin je hasardai cette question : — Des nouvelles du pays, mauvaises peut-être… Fantasio essaya de répondre, mais ne put pas et se détourna, — Au nom du ciel, m’écriai-je, n’essayez pas de me tromper. Dites-moi ce qui est arrivé ! Qu’est-il arrivé à César ? — Fantasio se cacha le visage et sanglota. Je compris tout. — O Dieu de clémence, César n’était plus ! »