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délices la musique de cette voix charmante. Son regard est si loyal, si honnête!

De la santé et un supplément d’argent, c’est tout ce que je te demande. Seigneur! Oh! laisse-moi joyeux vivre encore de beaux jours auprès de ma femme dans le statu quo !

IX.
LA DEMOISELLE.

La jolie demoiselle danse sur la surface de l’eau; elle danse de çà, elle danse de là, la brillante, l’étincelante coquine.

Maint jeune fou de scarabée admire sa robe de crêpe bleu, et l’émail de son joli corps, et aussi son svelte corsage.

Maint jeune fou de scarabée en a perdu sa cervelle de scarabée; les amoureux vont bourdonnant à ses oreilles des sermens de tendresse et de fidélité; ils lui promettent par-dessus le marché la Hollande et le Brabant.

La jolie demoiselle rit et répond : « Je n’ai besoin ni de la Hollande ni du Brabant; mais dépêchez-vous, mes amoureux, allez me chercher un brin de feu.

« La cuisinière est en couches, il faut que je fasse ma soupe moi-même; — le foyer de la cheminée s’est éteint; — vite, apportez-moi du feu, un brin de feu. »

A peine la perfide a-t-elle prononcé ces mots, les scarabées s’envolent au plus vite; ils vont chercher du feu, et bientôt ils sont loin de la forêt natale.

Ils aperçoivent des lampes brillantes (c’était, je crois, dans un jardin illuminé), et les amoureux, emportés par leur aveugle ardeur, se précipitent dans le feu des lampes.

Les flammes des lampes dévorèrent en pétillant les scarabées et leurs cœurs amoureux. Les uns payèrent de leur vie, les autres ne perdirent que leurs ailes.

Oh ! malheur au scarabée dont les ailes sont brûlées ! Dans un pays étranger, il faut qu’il rampe comme un ver au milieu d’insectes humides qui répandent une odeur infecte.

La mauvaise société, — c’est en ces termes qu’il se plaint, — est une des plus terribles plaies de l’exil. On est forcé de vivre avec un tas de vermine, avec des punaises même.

Qui nous traitent comme des camarades parce que nous habitons la même fange. Le disciple de Virgile, le poète de l’exil et de l’enfer, s’est déjà plaint de cet ennui.

Je pense avec tristesse au temps plus heureux où, dans ma splendeur ailée, je folâtrais joyeusement au sein de l’éther natal, où je me balançais sur les héliotropes,

Où je puisais ma nourriture au calice des roses, où j’étais une créature distinguée, où je fréquentais les papillons, race aristocratique, et la cigale, brillante artiste.