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Les roses du jardin étaient belles, et il y avait dans leurs parfums des séductions charmantes; mais elles se flétrirent vite, et elles moururent rongées par un poison étrange.

Depuis lors, une maladie mortelle a frappé aussi le rossignol, le noble chanteur de la nuit, qui chantait son Lied à ces roses. Je crois qu’il a pris du même poison.

Jardin maudit! Oui, c’était comme si une malédiction pesait sur lui. Maintes fois, en plein soleil, j’avais peur de voir apparaître des fantômes.

Le jardin lui-même était comme un spectre vert qui me regardait en ricanant; il se moquait de moi d’un air cruel, et du sein des buissons d’ifs j’entendais s’exhaler un soupir, un gémissement, un râle de mort.

Au bout de l’allée s’élevait la terrasse sous laquelle, là bas, tout au fond, les vagues de la Mer du Nord, à l’heure du flux, viennent se briser avec fracas.

De là, la vue s’étend au loin sur la mer. J’y restais souvent plongé dans de sauvages rêveries. La tempête était aussi dans mon cœur. Quels bruits ! quelles colères ! quelles écumes de rage !

Oui, c’étaient des bruits, c’étaient des colères, c’étaient des écumes de rage au fond de mon cœur; mais tout cela était impuissant comme les vagues elles-mêmes, qui venaient, malgré leurs fières allures, se briser en gémissant sur le dur rocher.

Je voyais avec envie passer les navires voguant vers les contrées heureuses; mais le château sinistre me tenait enchaîné dans ses liens maudits.

VIII.

RÉMINISCENCES.

I.

Laisse là les paraboles sacrées, laisse là les pieuses hypothèses; essaie de nous résoudre sans ambages ces maudites questions :

« Pourquoi le juste se traîne-t-il sanglant, misérable, sous le fardeau de la croix, tandis que le méchant, heureux comme un triomphateur, se pavane sur son fier coursier ?

« A qui en imputer la faute ? Notre-Seigneur n’est-il pas tout-puissant, ou bien est-ce lui-même qui est l’auteur de ce désordre ? Ah ! vraiment ce serait lâche. »

Telles sont les questions que nous répétons sans cesse, jusqu’à ce qu’on nous ferme la bouche avec une poignée de terre; — mais est-ce là une réponse ?

II.

La femme noire avait pressé tendrement ma tête sur son cœur. Ah ! mes cheveux devinrent gris là où ses larmes avaient coulé.

Elle m’embrassa, et je fus paralysé; elle m’embrassa, et je perdis la santé; elle me baisa les yeux, et je devins aveugle; elle suça de ses lèvres sauvages, elle suça la moelle de mes reins.

Mon corps maintenant est un cadavre où l’esprit est emprisonné. Maintes