Ces énumérations, répétitions, comparaisons, jouent, sous des formes diverses, un assez grand rôle dans la littérature du XVe siècle. Elles se rattachent à l’allégorie métaphysique, et on en retrouve l’origine dès Rutebœuf et le Roman de la Rose. Ce n’est pas ici le lieu de dire comment cette rhétorique est née et s’est développée ; Coquillart du reste lui donna une tournure souvent satirique et brutale, mais toujours bourgeoise. En résumé, il a, comme écrivain, les défauts que lui imposait une vie passée en dehors du travail littéraire, et ces défauts, nous les avons montrés avec franchise. Nous devons le reconnaître néanmoins, il a l’esprit si juste et si naturel, que son improvisation arrive souvent au même résultat que la réflexion, et que sa légèreté cache des observations toujours fines, ingénieuses, parfois profondes. Il reste donc pour nous un poète réaliste, d’une espèce unique, d’un talent original et d’une valeur littéraire incontestable.
Je ne veux pas quitter ce génie solitaire sans ancêtres et sans disciples, cette littérature, monument d’un âge complètement passé, avant de dire comment ce poète qui parle une langue presque étrangère, qui explique des mœurs à peu près inconnues, qui s’adresse à une classe entièrement transformée, comment ce poète est par ses instincts le contemporain de nos poètes, et comment cette littérature est de même race que la nôtre.
Le XVe siècle et le XIXe siècle, nés dans des circonstances à peu près semblables, élevés, instruits et secoués par des événemens analogues, ont de grandes ressemblances, des analogies curieuses, des instincts, des tendances qui vont presqu’aux mêmes buts. Sans doute bien des traits sont distincts, le langage a changé, ainsi que les habits et les formules ; la forme tout entière en un mot a un aspect différent ; tout a changé, si l’on veut, et les deux siècles suivent des sentiers différens ; cependant c’est la même faculté de l’âme qui dirige d’autres masques : elle produit en eux des contorsions diverses, mais elle les pousse dans la même voie. C’est ainsi que Coquillart est un des nôtres : c’est à nous qu’assis là-bas à l’extrême limite du XVe siècle,. il donne des leçons ; c’est à nous qu’il apprend comment les classes bourgeoises, lorsqu’elles perdent la foi, l’esprit de discipline et de sagesse, tombent de la dictature dans la corruption, se consolent de l’abaissement moral par la volupté, et voient leur influence perdue pour bien des générations.
Coquillart est, comme bien des littérateurs de notre époque, un de ces écrivains dont le seul talent est de voir : les choses les frappent plus que les idées ; les caractères se présentent à eux, non avec les pensées qu’ils ont, mais tout habillés, avec le bruit qu’ils font, les couleurs qu’ils portent. Ces littérateurs ne regardent jamais sérieusement l’âme : aussi s’inquiètent-ils peu de la morale ; ce sont des peintres en littérature. Coquillart avait donc reçu cette vue, qui est un des attributs du génie, et qui chez lui eût été certainement du génie, si elle avait été plus complète, si elle eût embrassé les passions et les caractères, au lieu d’apercevoir seulement les grelots que portent ces caractères, les grimaces que produisent ces passions ; mais il cherchait uniquement les courbettes, les drôleries, les plumets et les bijoux qui distinguent les sentimens quand ils sautillent gaillardement dans les fêtes de la vie légère, quand ils se promènent coquettement vêtus de neuf, enivrés de vin pétillant, et traînés par la jeunesse dans les danses, les amourettes et les festins de la