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pouvaient laver, bien des ridicules qui s’en allaient devenir des plaies sociales, furent stigmatisés par ce fouet brutal, qui devait passer dans la boue pour les trouver et les toucher.


III. — LA LITTÉRATURE BOURGEOISE.

Après l’apparition de ces œuvres, la vie de Coquillart ne fut plus qu’une succession de bonheurs et d’honneurs, il était l’homme célèbre par excellence, la gloire, la fierté de la nation rémoise, et cette gloire avait tous les caractères de ces triomphes que les petites villes seules savent décerner. Complète, absolue, accordée naïvement, elle retombait sur tous les habitans de la cité, les illustrait tous ; elle était la joie des amis de la bonne ville, la jalousie des ennemis, et on eût été malvenu, malmené peut-être, en cherchant à la discuter et à l’amoindrir. Il était ainsi devenu l’oracle, le représentant de l’esprit des Rémois, et les merveilleux monumens dont la ville était pleine, les châsses étincelantes dont elle était si fière, les preuves de courage et d’habileté dont son histoire était remplie, ne jetaient pas plus de splendeurs sur l’antique domaine de Saint-Remy que la poésie de Guillaume Coquillart. Reims était d’ailleurs une ville forte et puissante ; elle jouait un rôle historique ; aussi l’autorité que Coquillart acquit par cette poésie s’exerça sur de grandes choses. Il devint le premier des citoyens ; mais la bonne ville ne voulait pas de serviteurs inutiles : la grande bourgeoisie était ainsi constituée, que la gloire, la puissance acquises au service de la nation municipale et accordée par l’assentiment de tous, devaient toujours retourner au profit de tous et au service continuel de la nation. La vie du moyen âge était l’activité constante, et Coquillart avait seulement gagné ceci, que rien de grand ne se faisait sans lui.

En 1486[1], Maximilien d’Autriche se prépare à reconquérir l’ancien héritage des ducs de Bourgogne ; Reims se lève en armes contre lui, et Coquillart est chargé avec onze autres citoyens de veiller à la défense de la ville. En 1487, le chapitre le nomme chanoine de Sainte-Balzamine. Vers 1490, il est nommé officiai : c’était le plus haut titre auquel pouvait parvenir la bourgeoisie rémoise dans l’ordre religieux ; l’official était le second personnage du diocèse ; le prévôt du chapitre, les abbés des divers monastères étaient dans une certaine limite soumis à sa juridiction ; toutes les causes de la province ecclésiastique pouvaient être appelées devant ce tribunal de la justice métropolitaine, tandis qu’au contraire les causes scellées du sceau mystérieux de l’officialité rémoise, — le cerf élevé sur un piédestal avec cette légende cervus remensis, — toutes ces causes ne reconnaissaient d’autre tribunal d’appel que la cour de Rome. Vers cette époque pourtant, il semble que la Providence ait voulu jeter quelques soucis au milieu de cette existence glorieuse et faire comprendre au poète ce qu’il y avait d’absolument immoral dans sa littérature. Le dimanche des brandons de l’année 1490, à la suite de la représentation de quelques moralités satiriques, la populace quitta la

  1. Nous devons ces détails sur les dernières années de Coquillart à M. P. Tarbé, qui a publié, il y a quelques années, une excellente édition des œuvres de ce poète.