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ont retourné leur robe, ce sont des savetiers. Et encore, et toujours, défiez-vous de ceux-là qui portent ces longs cheveux étendus comme hérissons ; toutes les perruques ne cachent point les oreilles.

Habitz de modes non pareilles,
Pourpoins de drap d’or longs ou courts,
Chaisnes, colliers, plumes vermeilles
Appartiennent à gens de cours.
Mais ung tas de fringueraulx lourds,
Ung outrecuydé, ung folastre.
Aura ung pourpoint de velours
Contrefaisant du gentillastre !
Tisserans, mesureurs de piastre
Fringuent, et font des capitaines ;
Je leur donne, pour faire emplastre.
Les sanglantes fièvres quartaines !

Sortons maintenant de ce palais de l’amour bourgeois, parcourons toute la ville, nous y trouverons le même mélange de ridicule et de corruption.

Celle qui passe avec tant de rires, et menant si grand tumulte, escortée d’une vieille aux yeux malins, d’un page aux blonds cheveux, entourée d’une bande de neveux ou cousins sans doute, c’est une bourgeoise de basse lignée, sans rentes et sans terre. Elle a bien un mari ; mais, que veut-on ? le pauvre homme mourrait de faim, et il trouve sa maison grandement garnie de vin, de blé, de bois, de vaisselle d’argent. Du reste il est innocent comme Judas ; il ne voit, n’entend rien. On fait grand bruit chez lui pourtant : il y a toujours autour de sa femme une brigade de porte-perruques, le tabourin joyeux sonne en chambre et en salle ; on y joue tout le jour, au son des cymbales, au glic et à la condemnade ; on n’y fait que danser, patheliner ; les morceaux sont toujours servis, les drageoirs toujours ouverts.

On ne rencontre par les rues qu’un tas d’écuyers sans suite ; sires d’un prunier fleuri, chevaliers sous leur cheminée, ils ont pour fief le sel qui croit en la Mer-Rouge. Sur la grande place, il y a une foule de francs archers ; ils sont de la lignée des choux, sortis de la cliquette d’un moulin, et on les voit, plus fiers que les grands chefs de guerre, se promener au soleil, brillans comme Caresme-Prenant ; ils attendent que le soir soit venu pour visiter, l’épée à la main, les bahuts des marchands endormis. Auprès des tavernes, lorgnant piteusement les brocs, jurant par saint Godégrand, voilà le gendarme cassé, un véritable gibet à pied ; sa lance est au grenier, qui sert à sécher les vieux linges ; il a bu épée et houseaux, et il raconte à tout venant les bonnes infamies du temps de la guerre civile.

Entrons dans la salle des assises. Salut, Me Adam de Tire-Lambeaux, Me Oudard de Main-Garnie, Me Ponce Arrache-Boyaux, Gratien de Taste-Potence, Regnault Prend-Tout ! Salut, tous, juges bénins et conseillers vénérables ! Salut aussi, digne notaire en parchemin de corne,

Maître Mathieu de Hoche-Prune,
Recepveur de rifle pecune,
Grant cousin de Happe-la-Lune.

Il y a séance solennelle. Voici tous les savans de la ville, tous les