Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/529

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous ces touffes de rubans terminées par des aiguilles d’or et d’argent ciselés, on entrevoit des chiffres entrelacés qui ont bien exercé l’imagination du pauvre homme. Du reste elle est vêtue à la dernière mode : elle a le chaperon de pontoise, la ceinture tissue d’argent et de soie garnie de lames d’or ; d’un côté pend l’aumônière richement ornée, et de l’autre le miroir encadré d’un métal brillant. Dans les jours d’automne, elle porte la robe fourrée d’hermine, comme une noble dame, et elle méprise la fourrure de putois, qui faisait les beaux jours des bourgeoises ses aïeules. Maintenant elle est revêtue d’une belle cotte de satin cendré de Florence, et elle n’est pas dans ses plus beaux atours. À la fête prochaine, pour paraître belle et grande, elle qui est ronde et rouge comme groseille, elle portera des pantoufles qui auront bien vingt-quatre semelles. Et tous ces ornemens, ce n’est point le mari qui les a achetés ; ils lui viennent sans doute par héritage


De maître Enguerrand Hurtebise
Son aïeul, qui mourut transi
L’autre jour au pays de Frise.


Et le bonhomme se doit bien garder de chercher d’où cela lui vient, car, disent les sages, à cheval donné on ne doit point la gueule ouvrir. D’où arrive-t-elle, en ce moment, si brillante ? Peut-être de ces caquets de l’accouchée où l’on fauche et étrille la réputation d’autrui, et c’est le plus honnête des endroits où on l’accuse d’aller. — C’est une vraie fée, disent ses adorateurs ; elle est pleine de petits ris et de petites façonnettes. Et toutes ces minettes, ces yeux si vifs, qui étaient comme les miroirs des plaisirs mondains, enchantaient ces pauvres égarés du moyen âge, naïfs encore et ignorant le véritable sens de ces caprices qui naissent de l’écume du monde nouveau. Cependant Coquillart poète fait parfois déjà de bien énergiques tableaux des ruses des coquettes.

Mais la famille n’est pas complète : entre le mari et la femme il manque quelque chose, et ce n’est pas l’enfant, c’est l’entremetteuse d’abord, puis l’amant, et il les amène sur la scène. — Celle-ci, c’est la vieille aux yeux rians, qui promet aux femmelettes chaperon, robe fourrée, et aux gentils mignons quelque femme de gros grain, quelque dame haut atournée. C’est une grande vieille sibylle, caduque, menaçant ruine, barbue comme un vieux franc archer. Quant aux types d’amoureux, ils foisonnent chez Coquillart. Le premier qui se présente, c’est le descendant de la grande bourgeoisie, le fils de ces hauts et puissans bourgeois qui avaient bleu quinze cents francs de revenu. Il était destiné à passer sa jeunesse dans l’étude, son âge mûr dans le travail, et à devenir ainsi le chef de la commune, un des conducteurs du peuple ; mais maintenant le voici par les rues, suivi de Gauthier Fouet son valet, de Bec-à-Brouet son page, et de Colin Suisse son ménétrier ; il clique fièrement du patin, mince chaussure à haut talon dont le bruit attire sur lui l’attention des galantes bourgeoises et met en mouvement tous les couvre-chefs féminins. Demain il sera dans les salles de bal et dans les festins, il foulera dédaigneusement qu’pied les lavandes, les romarins, et, plus hautain qu’un châtelain de Poitou, il raillera toutes les danses qui réjouissent les élégans de second ordre, le grand tourin, la gorgiase, la bergîère, la maistresse, les filles à