lambeaux. Il ne connaît pas les raffinemens de la volupté, et il a conservé quelque grâce, un peu de cette fraîche poésie des champs et des feuilles, du soleil et du printemps que le moyen âge, en sa jeunesse, avait donnée pour compagne à la poésie du sentiment. Au XVe siècle, sans doute, les bijoux ont presque remplacé les fleurs, et les jeunes filles des poèmes ne portent plus ces gracieux ornemens, ces jupes ornées de roses pures, ces ceintures de violettes et ces couronnes de nouvel églantier, avec lesquelles elles allaient chanter la veillée du dieu gentil. Néanmoins l’amour bourgeois a bien souvent couru aux fêtes des villages voisins, il a assisté aux processions du Grand-Bailla, aux fêtes de la rosée, aux plantations du mal, et il en a rapporté, avec des pannerées de feuilles, de mousses et de fleurs, l’intelligence des fraîches et riantes couleurs. Il est là maintenant, ce dieu vainqueur, dans la cité vieillie et corrompue, sous son dais, au haut bout de sa table bruyante ; mais les tentures sont réjouissantes à l’œil, et le plancher de la salle est couvert de romarins, de muguets, de lavandes et de giroflées. Il habite son palais, et ce palais, si ce n’est une halle, est presque un hôtel de ville. Il est entouré de sa cour, et sa cour, a ses officiers comme M. le bailly de Vermandois ; ses conseillers portent cotte verte, ses huissiers ont la tête couverte de chapeaux de fleurs de houx, et ses avocats sont là prêts à invoquer les droits nouveaux, ces droits des sens que ne promulguait pas la poésie des temps passés. Pour lui, il a haut et puissant maintien, il prêche ses éternels mensonges, et tous ses sujets répètent en chœur : C’est lui qui v est le roi de toute douceur, de toute courtoisie et loyauté ; » c’est lui qui rend « l’homme prompt, prudent et sage ; sans lui, nul ne devient parfait. » Parfois il s’abandonne aux élans de sa nature cruelle, il dompte alors ses ennemis,
Par un ris de la queue de l’œil
Qui les mène jusqu’au mourir,
et malgré son air bonhomme, malgré sa figure enluminée, ses yeux s’arment
de méchantes coquetteries, comme s’il était toujours le descendant de Vénus,
la fille de la mer capricieuse. C’est alors qu’il tourmente ses serviteurs pour
leur faire inventer les ruses, les mots élégans et amoureux ; il les force maintenant à rire, bientôt à soupirer ; maintenant résolus, puis découragés, maintenant gracieux et bientôt sombres, ils font par son ordre mille grimaces et
singeries, et bien souvent n’ont-ils pour toute récompense que les yeux
dédaigneux de leurs maîtresses, les menues pensées, les marmousemens, le
songer creux, qui arrêtent leurs bras et contractent leurs fronts pendant le
travail de la semaine. Cependant il se rappelle bientôt qu’il est le dieu des
fêtes et l’amour bourgeois ; il laisse ses joyeux amis
Dancer, bondir, tourner, virer,
Fringuer, pomper, chanter, saulter ;
Et si quelquefois il les fait
Musser soubs tonnes, soubs cuveaulx,
Grimper pignons et fenestrages,
Soupples comme queues de naveaulx
Et mornes comme gens saulvages,
ce ne sont là que les moins acres et les plus bourgeoises des épices que le