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le château de Porte-Mars. C’était la forteresse féodale d’où relevaient un grand nombre des fiefs de la mouvance archiépiscopale. Les bourgeois détestaient cette forteresse ; elle était depuis deux siècles l’occasion de toute sorte de négociations ; elle avait entrée dans la campagne, entrée dans la ville, et elle empêchait la commune d’être complètement maîtresse de ses murailles : c’était néanmoins un crime de lése-seigneurie que de la détruire. Voyant Cochinnart décidé à ne pas reculer, les Rémois feignirent d’avoir peur de leur archevêque, firent maintes représentations, demandèrent une garantie au nom du pouvoir royal, et après avoir envoyé des ambassadeurs à Pierre de Laval pour lui démontrer qu’ils ne cédaient qu’à la force, ils s’en allèrent joyeusement détruire ces vieilles murailles, célèbres déjà dans les romans de chevalerie. L’archevêque comprenait bien qu’il ne pouvait lutter directement contre le représentant du roi. Il fit donc circonvenir Louis XI, et crut faire acte de bonne politique en demandant le titre de lieutenant-général du roi pour le pays de Reims. Louis, plus habile que l’archevêque, le lui accorda ; il comprenait quel avantage lui donnait le premier seigneur ecclésiastique de France en devenant le fonctionnaire de la royauté. Armé de ce pouvoir, celui-ci revint à Reims, fit saisir et chasser tous les acolytes de Cochinnart, et, forçant ce dernier à comparaître devant lui, « il ne savait, lui dit-il, ce qui le retenait de le faire mettre en sa bombarde et jeter jusqu’au Bois-Salins. » Les bourgeois, broyés entre les deux mains de l’archevêque qui tenaient chacune un des pouvoirs souverains de la nation, s’humilièrent, expièrent encore une fois les ruses de leur politique et promirent 900 livres pour la reconstruction du château ; mais le sénéchal de Normandie, M. de Saint-Pierre, et Jehan Raquin, amis de Cochinnart, représentèrent au roi le tort qu’il laissait faire à ses fidèles serviteurs, et combien adroitement l’archevêque se servait de son titre de lieutenant au profit du pouvoir féodal. Louis, furieux, envoya un mandement à son bailly de Vermandois ; ce mandement, brutal et injurieux pour le duc de Reims, le cassait de sa lieutenance, déchargeait les bourgeois de leur promesse de 900 livres et remettait Cochinnart à la tête de la ville. L’archevêque vit qu’il était inutile de lutter, il se retira à son abbaye de Saint-Nicolas d’Angers, et Cochinnart trouva le lendemain sur sa table ces simples mots : « Le roy ne vivra point toujours ! »

La commune était donc encore une fois victorieuse ; mais sa joie fut de courte durée, et la tyrannie du nouveau maître ne connut bientôt plus de bornes. On venait d’apprendre la venue en France d’Édouard d’Angleterre ; cette nouvelle apporta au capitaine de Reims le plus sûr moyen de satisfaire sa vengeance contre les officiers et amis de l’archevêque, contre le clergé et contre les bourgeois en général, dont il avait remarqué la joie à l’annonce de sa chute. C’est surtout aux biens qu’il s’attaqua, et la somme qu’il cueillit par les amendes, confiscations, compositions, fut immense. Heureusement pour les Rémois, le roi ne vécut pas toujours, comme l’avait dit Pierre de Laval, et en 1485 trois commissaires furent nommés pour interroger Cochinnart sur ses excès. Ils le trouvèrent à Amboise, dans sa maison d’Entre-les-Ponts ; il était dans son lit, aveugle, cassé par la vieillesse, brisé par les infirmités, mais aussi énergique que quand il tenait sous sa main de fer l’orgueilleuse capitale de la Champagne. Il ne nia rien, ou guère. Du reste.