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catholique déguenillée, lorsqu’un Irlandais décemment vêtu sort de la foule et lui coupe la parole par un de ces sarcasmes ironiques au moyen desquels les serviteurs dévoués des bonnes maisons aiment à rabaisser la morgue des parvenus et l’orgueil du succès insolent. Dans ce cas particulier, la grande maison déchue, c’est l’Irlande, et le parvenu triomphant, c’est l’église anglicane. « Vraiment! dit l’Irlandais furieux, tout savetier peut aujourd’hui mettre un habit noir le dimanche et s’en aller prêcher; mais il fut un temps où il en aurait coûté la vie à un homme pour faire une chose semblable. » Un des confrères de M. Vanderkiste, un certain M. Bullin, s’en tira à moins bon marché; il fut précipité du haut des escaliers d’une maison de Saint-Giles, et mourut des suites de ses contusions.

Ces Irlandais, dans leur détresse, ont donc cependant une consolation, et je préfère grandement leurs superstitions à l’ignorance absurde ou à l’athéisme raisonneur de la canaille anglicane dont nous entretient M. Vanderkiste. Ces superstitions ont au moins un caractère gracieux, quelquefois plein de poésie, — un rayon de soleil qui luit sur de la fange! Tantôt c’est un jeune Irlandais malade qui, pour tromper sa souffrance et sa faim, joue sur le mélodieux chalumeau de son pays des hymnes catholiques où saint Dominique et saint François remplacent le Christ aux côtés de Dieu et appellent à la vie éternelle les enfans de la terre qui croient en eux; tantôt c’est une pauvre femme à son lit de mort, qui demande qu’on lui allume cinq chandelles, afin, dit-elle, « d’éclairer son voyage pour le ciel. » Singulière puissance du catholicisme ! ceux qui y ont été élevés, même alors qu’ils n’y croient plus, n’y renoncent jamais de cœur. On en sort par la pensée, on y reste attaché de fait et matériellement. Il y a dans l’amour qu’il inspire quelque chose de la vénération que nous avons pour la femme qui nous a élevés et nourris. Tel s’en croit bien loin qui en est encore très près. On peut s’en séparer, on ne l’oublie jamais; on peut ne plus croire en lui, on ne peut jamais le haïr, et l’homme le plus dégagé de ses croyances, pour peu qu’il ait une âme noble, se surprendra toujours à parler avec affection et reconnaissance de cette vieille et douce nourrice qui a bercé, endormi et consolé tant de générations, trompé tant de misères, éclairé d’un rayon chaud et bienfaisant tant et de si longs siècles de ténèbres. Cet amour obstiné des mendians irlandais pour leur religion, M. Vanderkiste l’a retrouvé chez des hommes d’une tout autre condition, chez les émigrés italiens, hongrois, polonais. Là encore les conversions qu’il se flattait d’accomplir n’étaient évidemment qu’apparentes. Il avait catéchisé entre autres un jeune lieutenant polonais de mœurs assez dissolues, et l’avait amené à adopter le credo anglican; « mais cette conversion ne fut jamais profonde chez lui,