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d’une vénération profonde, car elle avait, comme celle de Kaltem, des momens de ravissement en Dieu, durant lesquels elle demeurait insensible à tout ce qui l’entourait. Malheureusement la conduite ultérieure de la sainte ne répondit pas à ce que promettait un pareil miracle, et saint Ignace de Loyola, qui ne pouvait s’expliquer que Dieu eût choisi pour trésor de sa grâce une personne si indigne, mit les stigmates sur le compte du démon. On sait que ce fut le procédé dont usaient constamment au moyen âge les théologiens pour expliquer les miracles opérés par des hérétiques ou des hommes vicieux et coupables. Puisque la merveille ne venait pas de Dieu, elle était, disaient-ils, évidemment envoyée par Satan pour abuser et séduire les créatures. Il fallut donc aussi reconnaître les stigmates du diable, et ceux qui ont écrit sur la démonologie nous en ont donné effectivement la description. Le diable marquait ceux qu’il possédait de signes aux pieds, aux reins et près du cœur. Les plus savans démonologistes nous assurent cependant que ces stigmates ne versent pas de sang, et se distinguent seulement à l’insensibilité des chairs et de la peau. Il est aisé de reconnaître dans cette circonstance un fait d’anesthésie, comme il s’en rencontre fréquemment chez les cataleptiques.

Ainsi ce que l’on avait d’abord regardé comme le don le plus précieux de la grâce finissait par descendre au rang des marques visibles de la damnation. Ce miracle, qui enthousiasmait tant de dévots, à force de se répéter, provoquait chez plus d’un homme pieux une sorte d’incrédulité, et avant de proclamer la merveille, on commençait par s’enquérir du caractère de celui qui en était l’objet. C’est qu’en effet la stigmatisation est en elle-même un phénomène stérile, indigne d’être proposé à une piété solide et active. C’est une aberration de l’économie qui peut, chez certaines personnes, procéder d’un sentiment respectable et profond d’amour divin, mais qui n’aboutit qu’à dégrader notre nature, en nous réduisant à un état permanent de torpeur et d’imbécillité analogue à celui des ascètes indiens. Le christianisme est de son essence une religion pratique et active. Les grâces de la stigmatisation sont au fond antipathiques à son esprit. A mesure que nous avançons davantage dans cette voie d’applications charitables et d’œuvres utiles qui font aujourd’hui la force du christianisme, nous nous éloignons de ce mysticisme extatique qui a pour couronnement la stigmatisation. Malheureusement c’est ce que les biographes des stigmatisés ont toujours méconnu. Leurs livres n’ont eu d’autre objet que de répandre l’enthousiasme pour le prétendu miracle; à les en croire, ces récits d’hallucinations, d’extases et de crises nerveuses sont un des moyens les plus puissans de glorifier la Divinité et d’édifier les âmes. Quant à nous.