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regardaient la stigmatisation comme le plus précieux des dons de la grâce ne pouvaient voir dans les juges qui avaient condamné l’imposture que de vrais persécuteurs. Les esprits étaient parfaitement préparés d’ailleurs à accepter la merveille de Rose Tamisier. Dans un département voisin du Vaucluse, à Villecroze, dans le Var, Mme Miollis, dont le nom a déjà été prononcé, montrait aux pèlerins qui la venaient visiter la trace des clous qui avaient percé les membres du Sauveur. Des linges appliqués sur son front et sur sa poitrine avaient présenté une empreinte exacte, écrit son biographe, de la couronne d’épines et de la croix. La vue de ces linges, qui circulaient comme des reliques, avait convaincu plus d’un sceptique; certaines personnes leur prêtaient la vertu de communiquer une heureuse disposition à la dévotion de la croix et du sacré sang. Depuis 1840, il n’était bruit parmi les dévots que de ces faits extraordinaires, et la publicité donnée à de tels récits explique la propagation du phénomène dont ils fortifient l’influence épidémique. Je puis citer pour ma part un exemple de cette action contagieuse que peut exercer encore aujourd’hui l’exaltation des stigmatisés. A douze lieues de Paris, je vis, il y a quelques années, entrer dans une église une femme vêtue de blanc, un voile et une couronne d’épines sur la tète, un roseau à la main; ses traits respiraient la quiétude, bien qu’il y eût quelque chose de morne et d’égaré dans sa physionomie. Elle s’approcha de l’autel, et, s’agenouillant sur les marches, elle se mit à pousser de profonds soupirs; puis elle prononça de nouvelles exclamations de tristesse, remerciant son doux Sauveur de la grâce qu’il lui avait faite de lui envoyer les stigmates, comme à la bonne madame Miollis. On chuchotait, on se demandait ce qu’était cette folle, la foule s’amassait dans la chapelle, lorsqu’un prêtre vint à passer et ordonna à la patiente de se retirer. C’était, nous dit-il, une intrigante qui cherchait à étonner le public et ne produisait que du scandale. La prétendue stigmatisée sortit en déplorant l’aveuglement de ceux qui méconnaissaient la miséricorde divine. Des scènes de ce genre ne sont pas rares dans le midi de la France; en Espagne et dans l’Amérique méridionale, elles sont encore plus fréquentes. A côté du mormonisme et des rêveries des sectaires, le mysticisme a aussi sa place à revendiquer comme une source d’aliénation mentale. Les pieux historiens de la stigmatisation, au lieu d’édifier les âmes, ont en effet semé trop souvent la folie, quand ils n’ont pas suggéré des moyens à la ruse, préparé des dupes et tendu des pièges à la crédulité naïve.

Parmi les explications de ce singulier phénomène, il en est une que légitiment d’assez nombreux exemples. On peut supposer que, dans ces accès d’extase qui mettent l’imagination hors d’elle-même et font perdre au moi conscience de ses actes, les stigmates ont été