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l’admiration des fidèles qui voyaient dans les stigmatisés autant de victimes expiatoires se dévouant pour leurs frères est venue en aide à la contagion de l’exemple pour perpétuer les miracles des stigmates. L’idée de l’extase expiatoire a ainsi constitué à son tour un genre propre d’épidémie mystique. On la retrouve dans les visions d’un assez grand nombre de dévotes des XVIe et XVIIe siècles.

Marie de l’Incarnation se voyait parfois plongée dans des flots de sang qu’elle reconnaissait pour être celui de Jésus-Christ, versé, disait-elle, à cause des péchés qu’elle avait commis; alors elle s’offrait pour être immolée et sacrifiée à la place du Sauveur. Catherine de Bar, qui prit le nom de mère Mechtilde et qui était née à Saint-Dié, en Lorraine, en 1619, fonda à Rambervilliers, quarante ans après, en 1659, un nouvel ordre monastique sous la règle de saint Benoît modifiée, et avec le titre de Religieuses adoratrices perpétuelles du très saint sacrement de l’autel. Le caractère propre de ces religieuses était de se donner comme des victimes s’offrant en réparation des outrages faits à Jésus-Christ dans l’eucharistie, répétition journalière de la passion. Tous les jours, une des sœurs entrait en retraite depuis le matin jusqu’à vêpres. Elle était alors victime réparatrice. Quand les autres sœurs allaient au réfectoire, elle sortait du chœur la dernière, la corde au cou, la torche à la main. Toutes les religieuses étant à leur rang, elle leur rappelait qu’elles étaient des victimes immolées à la place de Jésus-Christ; puis, s’étant inclinée, elle retournait au chœur pendant le dîner, et y restait jusqu’après vêpres à titre de victime séparée du troupeau et destinée au sacrifice.

L’influence que cet ordre singulier exerça sur quelques femmes d’un esprit faible et enclin au mysticisme fut assez grande. On vit se reproduire chez les catholiques, mais dans des proportions moins fortes, ce qui s’observe chez les Hindous brahmanistes. Les victimes s’imposaient des rigueurs, des pénitences extraordinaires, et cherchaient à reproduire par des actes ascétiques les horreurs de la passion. Quelques dévots attachèrent une grande vertu à cette répétition du sacrifice offert en expiation de nos crimes. Un certain Desmarets-Saint-Sorlin, soutenu par les jésuites, proposa sérieusement une armée de cent quarante mille victimes pour combattre les jansénistes de Port-Royal et renverser toutes les citadelles du diable.

L’enthousiasme qui avait un moment porté les franciscains à saluer un second avènement de Jésus-Christ dans la personne de leur fondateur et les avait mis ainsi sur la pente d’une nouvelle religion, différente du christianisme, se reproduisit vers 1732 à propos des victimes. Des rêveurs assurèrent que le second retour de Jésus-Christ serait précédé de l’immolation de victimes dont le sang mêlé à celui du Sauveur apaiserait la colère divine. La plus célèbre des femmes