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période, trois extatiques ont offert à l’observation contemporaine cet étrange phénomène des stigmates, tel qu’il s’était produit au XVe siècle. L’une est Maria de Moerl, l’extatique de Kaltern ; la seconde est Maria Domenica Lazzari, de Capriana ; la troisième est Crescentia Nieklutsch, de Tscherms. Toutes trois étaient dans la jeunesse quand les stigmates apparurent sur leur corps, et divers voyageurs qui les ont visitées nous ont laissé sur elles de curieuses relations. Maria de Moerl, la première, était, comme sainte Rose, issue d’une noble famille, mais cette famille avait éprouvé de grands revers, et son père s’était vu réduit à tenir une petite auberge. Maria ne reçut que l’instruction la plus vulgaire ; elle fréquenta une école primaire, et sa santé débile, jointe à une dévotion précoce, laissa peu de temps à la culture de son intelligence. Malade et cherchant dans des exercices de piété continuels l’oubli de ses souffrances, elle tourna toute son activité vers la vie contemplative. Chez des jeunes filles dont la santé est mal affermie, où la révolution de la jeunesse ébranle une organisation délicate, il se fait souvent une réaction cérébrale qui les jette dans une mélancolie sur laquelle se greffe tout naturellement la dévotion. C’est ce moment qui décide souvent des vocations religieuses et de la destinée de bien des femmes. Maria venait de perdre sa mère, ce qui augmentait encore ses souffrances morales. Elle tomba dans un de ces découragemens profonds qui préludent si souvent à la vie ascétique ; elle passa par cette succession fréquente de sentimens différens, d’états opposés qui trahissent le trouble de l’économie. À des élans d’amour pour le Sauveur, à des transports qui lui faisaient goûter par avance les joies éternelles, succédaient des momens de tristesse poignante et de découragement profond. Ces femmes mystiques, qui se croient l’objet des attentions particulières de Jésus-Christ, s’imaginent fréquemment être ensuite délaissées par lui. Elles s’accusent alors de leur manque de sensibilité et de leur ingratitude ; la dévotion cesse d’être pour elles une consolation, et si elles essaient d’échapper à ces épreuves cruelles en rentrant dans la vie pratique, en s’appliquant à l’exercice des bonnes œuvres, leur charité participe encore de l’inégalité de leur humeur. On trouve dans les écrits de sainte Thérèse une analyse profonde de ces bizarres vicissitudes dont se plaignait aussi sainte Rose de Lima. Maria de Moerl fut assiégée pendant quelque temps par des tribulations terribles qui mettaient en péril sa félicité et son salut ; elle passa par des retours, des réactions morales qui lui semblaient des tentations envoyées par l’esprit des ténèbres ; mais, pour combattre l’ennemi qui s’était insinué en elle, elle ne fit que redoubler ses mortifications et ses austérités. Son organisation délicate était minée chaque jour davantage par cette lutte intérieure qui puisait ses armes