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dérobent au public les charmes qui n’appartiennent qu’à un seul; elle rendit cette laideur profonde et durable, car, se disait-elle, en quoi Jésus-Christ aurait-il besoin de la beauté physique, puisque c’est au cœur qu’il s’adresse, puisque c’est du cœur qu’il est épris ? Elle lava ses mains dans la chaux vive pour brûler et faire gercer sa peau. Une fois entrée en religion, afin de faire cesser une poursuite de mariage qui bravait encore une résolution si fortement prise, Rose ne mit plus de bornes aux austérités qu’elle s’imposa. Déjà depuis longtemps elle s’était condamnée à une abstinence continuelle de viande, et elle jeûnait trois jours de la semaine au pain et à l’eau; mais la privation ne suffisait pas à son âme dévorée du désir du martyre : elle voulut y ajouter la souffrance et le dégoût, qui n’en est qu’une autre forme. Elle mêla à ses alimens les herbes les plus amères; elle les arrosa même avec du fiel de mouton. Pendant le carême, elle en diminuait graduellement la quantité. Elle arrivait à vivre de quelques pépins d’orange. Toutes les nuits, elle prenait la discipline, et malgré les représentations de son confesseur, elle alla jusqu’à s’administrer cinq mille coups dans l’espace de quatre jours. Puis, quand ses épaules ne présentaient plus qu’une large plaie, elle les chargeait d’une lourde croix de fer et se rendait ainsi nu-pieds dans le jardin du couvent. La sainte s’enfonça aussi sur la tête une couronne hérissée de pointes, la changeant tous les jours de place afin de multiplier les blessures que cette cruelle coiffure ouvrait en son front. Enfin elle se revêtit d’un double cilice, et après s’être frotté tout le corps avec des orties, elle étreignit ses bras et ses reins dans des chaînes qui lui causaient les douleurs les plus insupportables. Et quand, dans son ardeur de souffrir, sainte Rose avait ainsi épuisé toutes les tortures, une joie intérieure s’emparait d’elle et les lui faisait oublier; elle était heureuse et fière d’avoir imité et ressenti les angoisses de son Sauveur. Sous ce ciel brûlant du Pérou, comme sous le climat dévorant de l’Hindoustan, l’ascétisme, on le voit, prend des proportions gigantesques, et la volonté soutenue par la foi opère des prodiges dont la seule pensée ferait reculer les cœurs les plus indomptables.

Transportons-nous maintenant dans les montagnes du Tyrol, dans cette contrée, située aux confins de l’Allemagne et de l’Italie, où l’esprit rêveur et mystique du Nord s’allie aux passions ardentes et aux résolutions hardies du Midi. C’est là qu’habite une population simple et crédule, qui a gardé la foi du moyen âge et chez laquelle les traditions, les légendes pieuses se transmettent religieusement de père en fils. Au Tyrol, le souvenir d’une célèbre stigmatisée, Jeanne-Marie de Roveredo, a exercé depuis une cinquantaine d’années une influence singulièrement active. Dans le cours de cette