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le fondateur de l’ordre des moines prêcheurs d’avoir puisé dans la règle de saint François l’idée et le modèle de son tiers-ordre, tandis que les dominicains s’efforçaient de jeter le plagiat sur le dos de saint François. L’insigne grâce des stigmates ruinait cette prétention, et, afin de parer à la force miraculeuse de l’objection, ils prétendirent avoir aussi leur stigmatisé. On voulut opposer miracle à miracle, et pour rendre l’opposition plus sensible, les dominicains choisirent une femme, une religieuse de ce tiers-ordre de Saint-Dominique si jaloux du tiers-ordre de Saint-François. C’était sainte Catherine de Sienne, dont les visions avaient servi déjà de contre-partie aux révélations de sainte Brigitte. On sait en effet que tandis que Dieu révélait à cette sainte, au grand triomphe des scotistes, le fait de l’immaculée conception de Marie, sainte Catherine apprenait du ciel que la Vierge avait été conçue dans le péché, ce que criaient bien haut les thomistes. Des images représentant la nouvelle stigmatisée parurent aux mains des dominicains. On y voyait la sainte recevant de Jésus-Christ lui-même la marque de ses divines plaies par le moyen des rayons ensanglantés qui s’en échappaient, et, afin de renchérir sur saint François, qui s’était trouvé suffisamment martyrisé par l’impression des saints stigmates aux pieds, aux mains et au côté, on traça sur le front de la pieuse vierge l’empreinte de la couronne d’épines. Rien ne manquait donc plus à la passion de sainte Catherine, rien, si ce n’est la réalité. Tout n’était cependant pas controuvé dans ce miracle, à l’aide duquel les dominicains fermaient la bouche à leurs adversaires. La sainte, livrée aux exercices continus de la contemplation, de l’ascétisme le plus dur, sujette aux visions et aux extases, avait, sans doute sous l’empire du désir jaloux de son ordre, aspiré à ces stigmates qu’avait obtenus saint François, et dans un de ses délires mystiques, elle s’était imaginé les recevoir : elle avait ressenti les douleurs des cinq plaies et cru un instant en distinguer les marques; mais ces glorieuses cicatrices avaient disparu, et rien ne put attester l’insigne faveur qu’elle avait méritée. Aussi en 1483 vit-on les franciscains réclamer avec force contre la fraude de leurs rivaux et les images menteuses qu’ils distribuaient. Le souverain pontife accueillit la plainte et condamna la contrefaçon; toutefois il prit soin plus tard d’adoucir la rigueur de sa bulle à l’égard des dominicains, assez mortifiés.

Tel est donc le double fait qui se place au début de l’histoire des stigmatisés. Malgré les discussions que provoquèrent le miracle du mont Alverne et celui moins authentique de Sienne, le résultat fut le même : une émulation singulière s’empara des deux ordres de Saint-François et de Saint-Dominique. Pendant une période de plusieurs siècles, c’est dans les rangs des franciscains ou des dominicains qu’on rencontra presque constamment les stigmatisés. La