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pensèrent que, puisque Jésus-Christ avait pu reproduire chez le docteur d’Assise le fait de sa passion, ils pouvaient, eux, obtenir de leur fondateur une part de la grâce et des douleurs méritoires qui lui avaient été communiquées. Des images représentant la stigmatisation miraculeuse sur le mont Alverne circulèrent dans tous les couvens, et l’on commença à parler d’autres exemples de ce prodige, absolument inconnu avant saint François. Arrivèrent les théologiens[1], qui écrivirent des traités sur la matière et prétendirent que le don des stigmates était après tout un de ces nombreux bienfaits de la grâce divine qui se manifestent de temps à autre chez les fidèles. Saint Paul avait dit dans son épître aux Galates qu’il portait sur son corps les stigmates du Seigneur. On imagina que le grand apôtre avait, de même que saint François, reçu l’empreinte des cinq plaies. Il y avait dans la Bible plusieurs allusions à l’usage répandu en Orient de porter sur le bras droit un signe indicatif de la divinité au service de laquelle on s’était voué, et c’est à cette habitude que se rapportent vraisemblablement les paroles mêmes de saint Paul. On prétendit expliquer tout cela par des stigmatisations, et l’on recomposa de la sorte une généalogie de stigmatisés. Le fait est que cette grande famille n’est pas à beaucoup près d’aussi ancienne date qu’on le prétendait, et qu’il est impossible de lui trouver d’autre ancêtre que saint François.

Hommes et femmes livrés à la vie mystique briguèrent bientôt, au sein des ordres mineurs, la faveur accordée à leur fondateur. Quelques vies d’extase et de contemplation obtinrent le couronnement de leurs désirs, et les annales de ces ordres ont conservé le nom de plusieurs âmes pieuses qui partagèrent dans leurs rayissemens célestes les souffrances de la passion. Tels furent Philippe d’Acqueria, Benoît de Reggio, capucin de Bologne, qui vivait dans les premières années du XVIIe siècle, Charles de Saeta ou plutôt de Sazia, simple frère lai, qui fut marqué des stigmates en 1646, un autre frère lai du nom de Dôdo, de l’ordre des prémontrés, Angèle del Paz, moine de Perpignan, et le frère Nicolas de Ravenne, dont les plaies ne furent découvertes qu’après sa mort.

Les stigmates du saint séraphique ne tardèrent pas cependant à exciter la jalousie des dominicains. Ils s’étaient produits précisément au moment où la rivalité était le plus prononcée entre les mendians et les frères prêcheurs. Ces derniers voyaient surtout d’un œil d’envie la hauteur à laquelle un pareil miracle élevait le patron de leurs ennemis. L’organisation des moines de saint Dominique présentait une certaine analogie avec celle des franciscains, et ceux-ci accusaient

  1. Le plus célèbre des traités théologiques sur les stigmates est celui du jésuite Théophile Raynaud, intitulé : De Stigmatismo sacro et profano, divino, humano, dœmoniaco Tractatio.