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Enfin une troupe de braves citadins vint s’offrir d’elle-même pour aller reconnaître l’ennemi conjointement avec les gardes du palais ; ils partirent ensemble, mais on les vit bientôt revenir dans le plus grand désordre, laissant derrière eux une partie de leurs gens. Quelques charges de la cavalerie ennemie les avaient dispersés. La milice palatine n’était plus alors ce qu’on l’avait vue autrefois, quand les empereurs la choisissaient dans l’armée entière, dont elle était l’élite et l’orgueil. Zénon avait commencé à l’abâtardir en y introduisant, pour sa sûreté personnelle, des Isauriens, qui n’avaient point ou qui avaient mal fait la guerre. Anastase la désorganisa encore davantage en laissant vendre les places de gardes, auxquelles de nombreux privilèges, des exemptions et une forte solde étaient attachés. De riches bourgeois s’en emparèrent à prix d’argent, et il n’y eut bientôt plus de soldats dans la garde palatine. Ainsi le siège de l’empire et la vie de l’empereur se trouvèrent confiés à une milice couverte d’or, mais qui ne savait pas manier le fer : troupe de parade, faite pour orner un triomphe, et non pour le procurer.

Encouragés par ce premier succès, les barbares sortirent de leur camp et vinrent cavalcader devant la Porte-d’Or, à la grande honte de la ville qui ne pouvait plus recevoir de secours que par mer. C’était pour l’œil des Romains un triste et décourageant spectacle que ces bandes de cavaliers hideux courant la campagne, fouillant les villas pour en tirer des femmes ou du butin et transformant en écuries les portiques de marbre et de cèdre. Le riche patricien pouvait observer du haut de la muraille, à la direction de la poussière ou de la flamme, le sort de la maison de plaisance où il avait englouti sa fortune. Cependant arriva dans Constantinople un corps de vieux soldats, vétérans de Bélisaire en Afrique et en Italie : ils n’étaient que trois cents, mais ils demandaient à se battre. Leur arrivée réveilla le souvenir du chef dont ils invoquaient le nom avec orgueil et confiance. Bélisaire était alors sous le poids d’une de ces disgrâces dont Justinien payait périodiquement ses services, et que le grand général, il faut bien le dire, supportait sans fermeté d’âme, allant au-devant des affronts, et quêtant, confondu dans la foule des courtisans, un regard que le prince s’obstinait à lui refuser. Cette faiblesse de caractère et ce besoin ardent de faveur avaient été pendant toute la vie de Bélisaire un encouragement pour ses envieux et un triomphe pour la médiocrité, dont les prétentions se grandissent de toutes les petitesses des héros. Ce fut la seule misère de cet homme illustre, qu’une tradition poétique a fait aveugle et mendiant, mais qui malheureusement fut trop riche pour la pureté de sa gloire. Son nom cache deux personnages bien différens dont il faut soigneusement tenir compte dans l’histoire : l’homme de la vie civile et le soldat. Le premier, pusillanime, altéré d’honneurs et d’argent, inutile à ses amis,