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généraux. » Le même historien nous apprend que par un résultat de ces désordres l’effectif des troupes, qui était en temps normal de six cent quarante-cinq mille hommes, tomba vers cette époque à cent cinquante mille seulement, et encore étaient-ils dispersés en Italie, en Afrique, en Espagne, en Arménie et sur les frontières de l’Euphrate, du Caucase et du Danube. Quant aux Huns et aux Slaves, Justinien s’en préoccupait à peine : on eût dit que le vainqueur des Vandales et des Goths eût rougi d’employer ses soldats contre des sauvages qui s’entre-détruisaient au moindre signal pour un peu d’or.

Encore si l’économie irréfléchie provenant de l’affaiblissement de l’armée avait profité au public, elle n’eût été qu’un demi-mal ; mais elle vint alimenter le goût toujours croissant de Justinien pour les constructions. C’était la seule activité qui survivait dans son intelligence amortie. On prétend qu’il bâtit ou répara à lui seul autant d’édifices et de villes que tous ses prédécesseurs à la fois. Cette exagération montre du moins combien sa part fut grande. Beaucoup de ces entreprises furent magnifiques, la plupart furent utiles ; mais la gêne créée par des dépenses hors de proportion avec les ressources fit maudire jusqu’à l’utilité même. On se vengea des impôts par des injures. Ce fut un déchaînement misérable de calomnies et d’absurdités telles que celles dont Procope s’est fait l’écho, et que la haine prenait peut-être pour vraies, se souciant peu de la vraisemblance, pourvu que la malignité fût satisfaite. On exhumait les souvenirs de Théodora, alors au cercueil, pour en accabler Justinien. Ses inspirations les plus patriotiques, ces conquêtes et ces travaux législatifs qui lui ont valu l’immortalité, étaient ravalées, flétries par des interprétations sans bonne foi et présentées même comme des crimes. Il ne manquait pas de gens qui prenaient parti pour les Vandales et les Goths contre l’empereur : Procope serait là au besoin pour nous le prouver. Une injure facile et qu’on ne s’épargnait guère dans les conciliabules de mécontens consistait à refuser à Justinien son nom romain et ses titres. Il n’était plus là, comme au préambule de ses lois, Justinien l’Invincible, le Vandalique, le Gothique, le Persique, le Francique, le Hunnique, etc., mais tout simplement Uprauda, fils du bouvier Istok et de la paysanne Béglénitza. Seulement on oubliait d’ajouter que le fils du bouvier illyrien avait donné un code à l’empire d’Auguste et replacé la statue de Jules-César au Capitole. Tels étaient les tristes retours que la vieillesse amenait à la gloire de Justinien : elle en réservait de pareils à sa fortune.

Les années 557 et 558 effrayèrent le monde romain par une accumulation de calamités qui put faire croire à la fin du monde. Le bouleversement des saisons, la peste, les tremblemens de terre semblèrent s’être donné rendez-vous pour frapper à coups redoublés la malheureuse population de l’empire. La peste, après avoir désolé