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longtemps) que pour nous prouver qu’ils valent mieux que les Outigours. Nous leur avons remis l’argent que nous te destinions ; avise maintenant au moyen de le leur reprendre. Écoute, Sandilkh : si après un tel affront tu n’es pas bientôt vengé, c’est que tu ne le peux ou ne l’oses pas, et nous alors, changeant de conduite, nous reviendrons à ceux que tu crains, et auxquels, en ami, nous te conseillerons de te soumettre. Nous serions fou de vouloir partager l’humiliation du faible quand il ne tient qu’à nous d’avoir l’alliance du fort. »


La dépêche de la chancellerie impériale fit bondir de colère l’orgueilleux Sandilkh, qui, pour bien prouver qu’il savait gagner son argent quand il le voulait, se mit en route avec toute son armée pour le campement des Coutrigours. Les Goths tétraxites, qui avaient le mot, l’attendaient avec un contingent de deux mille fantassins bien armés au passage du Tanaïs, et se joignirent à lui. Les Coutrigours, quoique pris à l’improviste et privés d’ailleurs de leur meilleure cavalerie, envoyée sur le Danube, firent bonne contenance et marchèrent au-devant de Sandilkh ; mais la fortune leur fut contraire. Un grand massacre suivit leur défaite ; leur camp fut pillé, leurs femmes enlevées, leurs enfans traînés en servitude : l’épée des Goths tétraxites et la flèche des Huns outigours rivalisèrent à qui mieux mieux pour le service des Romains. Il y avait dans le camp saccagé plusieurs milliers de captifs mésiens ou thraces que les Coutrigours détenaient pour en tirer rançon. Ils étaient étroitement gardés et chargés de fers. Le tumulte de la bataille ayant dispersé leurs gardes, ces captifs brisèrent leurs fers et se cachèrent, puis des chevaux qui leur tombèrent sous la main leur permirent de fuir. Arrivés avec toute la précipitation de la crainte et de l’espérance au bord du Danube, ils y racontèrent les événemens dont ils venaient d’être témoins.

Kinialkh cependant manœuvrait dans les plaines de la Mésie contre Aratius, qui cherchait à le cerner, mais le cherchait assez mollement, se souciant peu de compromettre sa petite armée, et comptant sur un dénoûment pacifique au moyen des nouvelles qu’on attendait des campagnes du Don. Sitôt que ces nouvelles arrivèrent, l’empereur les lui fit tenir avec ordre de les communiquer à Kinialkh. On devine aisément quel en fut l’effet : Kinialkh et ses cavaliers n’eurent plus qu’un désir, aller défendre ou venger leurs familles ; ils n’eurent plus qu’un cri de colère contre les infâmes Outigours, leurs frères dénaturés. Aratius profita de ces bonnes dispositions pour négocier avec eux leur retraite, et ils s’engagèrent à ne toucher à la tête ni à la propriété d’aucun Romain, si on ne les inquiétait point, jurant en outre de ne plus porter les armes contre l’empereur. Kinialkh dit alors adieu aux Gépides, qui virent s’envoler avec lui tout espoir de secours contre les Lombards. À quelque temps de là, une bande de