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les armes, et je le ferai maître de toute l’Afrique ! » Justinien crut avec bonheur à ce songe, qui répondait à sa pensée : l’instinct religieux lui rend la foi politique, et sous cette double illumination il ouvre la série des rapides et brillantes campagnes où l’on vit Constantinople délivrer Rome et reconquérir Carthage. Le reste des projets qu’avait pu concevoir Justinien demandait plus que la vie d’un homme, et malheureusement il n’eut pas de successeur. On a dit, pour rabaisser sa gloire, qu’il devait ses victoires à ses généraux ; mais l’idée et la direction de la guerre, à qui les dut-il sinon à lui-même ? Son règne donna à l’empire quatre généraux comparables à ceux des beaux temps de Rome, Bélisaire, Narsès et les deux Germain : pareille bonne fortune n’arrive jamais qu’aux grands rois.

Les barbares de la Slavie et de la Hunnie, qui n’avaient point remué pendant tout le règne de Justin, reparurent dès qu’il fut mort, comme pour sonder le nouvel empereur. Choisissant toujours l’hiver pour franchir le Danube, ils s’élancèrent dans la petite Scythie, et déjà ils menaçaient la Thrace quand Germain les défit dans une grande bataille. Trois ans après, ce fut le tour des Slovènes, que le maître des milices de Thrace, Khilbudius, rejeta sur la rive gauche du Danube, puis au-delà des Carpathes, et il leur fit une rude guerre au milieu de leurs villages ; mais il périt pendant une marche imprudente, où il se laissa envelopper. Khilbudius était Slave d’origine et excellent pour les guerres qui se faisaient sur le Danube ; sa mort parut aux Barbares un vrai triomphe et leur rendit toute leur audace. Les Bulgares ne tardèrent pas à se remettre de la partie ; ce fut encore la même émulation de pillage et de cruautés. Un jour que les Bulgares battus par les Romains regagnaient à toute bride le Danube, les légions, revenant joyeuses à leur camp sans beaucoup d’ordre et de prudence, tombèrent dans une division bulgare que l’on supposait fort loin. Les Romains surpris commencèrent à se débander, et furent bientôt en pleine déroute. Au milieu de ce désordre, les cavaliers bulgares, pénétrant dans les rangs des fuyards, faisaient la chasse aux officiers, les enlevant avec leurs filets pour en avoir plus tard rançon. Ils jetèrent ainsi leurs lacs sur les trois officiers principaux de l’armée romaine qu’ils réussirent à emmaillotter : c’étaient Constantiolus, Godilas et Acum. Godilas, encore libre d’une main, trancha les mailles avec son poignard et s’échappa ; les deux autres furent pris. Constantiolus se racheta au prix de mille pièces d’or ; mais Acum fut emmené en esclavage. Il était Hun, originaire des colonies mésiennes et converti au christianisme : l’empereur lui-même l’avait tenu sur les fonts de baptême. Peut-être ces circonstances bien connues des Bulgares à cause du grade élevé d’Acum attirèrent-elles sur lui un traitement plus rigoureux. Sept ans de