Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/430

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et du luxe jointes à celles de la nature. Lorsqu’ils nous parlent de ces sites magnifiques qui dominent la Propontide, la Mer-Noire ou le Bosphore, de ces eaux vives et abondantes, de ces villas de marbre se dessinant sur des rideaux de forêts, de ces églises, de ces palais, de ces jardins en amphithéâtre, rangés sur le contour des golfes, « comme des perles dans un collier, » ils rencontrent le sentiment et quelquefois l’expression d’une vraie poésie. La terre même, malgré toutes ses beautés, n’avait pas suffi au luxe de la Rome orientale, et des môles jetés à grands frais faisaient étinceler au-dessus de la mer des habitations de porphyre et d’or que la soie et le cèdre garnissaient au dedans. Un peuple de statues de bronze ou de marbre de Paros, reliques du génie des Hellènes, animait ces solitudes enchantées. C’est là que les patriciens de Byzance venaient jouir d’un repos voluptueux gagné trop souvent aux dépens des provinces, là que les Rufin, les Eutrope, les Ghrysaphius étalaient ces prodigalités insolentes qui, après avoir soulevé contre eux la colère de leurs contemporains, font encore leur condamnation dans l’histoire. Qu’on se figure l’effroi causé par l’apparition des bandes bulgares dans ce paradis des Romains d’Orient ! On oublia pour un moment la querelle des deux natures, et pour un moment on pensa aux souffrances des malheureux Mésiens.

Ce fut alors qu’Anastase entreprit le grand ouvrage auquel son nom est resté attaché, et dont les vestiges s’aperçoivent encore aujourd’hui à treize lieues environ de Constantinople, du côté du couchant. Les Romains, dans la défense de leur territoire, employaient fréquemment les remparts ou murs fortifiés adossés à des obstacles naturels, et couvrant des cantons, quelquefois même des provinces entières. Des portes y étaient laissées de distance en distance pour les communications avec le dehors. Gardés en temps ordinaire par quelques postes seulement, ces remparts recevaient en temps de guerre l’armée défensive, qui s’y tenait à couvert comme derrière une place forte. L’empire d’Orient comptait nombre d’ouvrages de ce genre, qui se multiplièrent à mesure qu’il fallut substituer les moyens matériels à l’esprit militaire ; les Thermopyles elles-mêmes en reçurent, et furent mieux défendues par une ligne crénelée que par les poitrines des derniers Spartiates. Constantinople, comme on sait, était située sur un isthme que baignent au midi la Propontide, au nord la Mer-Noire, et que le Bosphore sépare de l’Asie. Anastase entreprit d’isoler du continent l’espèce de presqu’île qui renfermait la ville et sa banlieue, et d’en faire une île, suivant l’expression des auteurs du temps. Pour cela, il traça le plan d’une fortification qui la coupait d’une mer à l’autre dans une longueur de dix-huit lieues. Commencé en l’année 507, cet immense