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nouvelle vous est agréable, soyez aujourd’hui à l’Acquasola entre quatre et six heures de l’après-midi, et portez un camélia blanc à votre boutonnière. Pas un mot de tout ceci. Vous ne me connaissez pas, mais vous me connaîtrez en temps et lieu, si vous êtes discret. En attendant, pensez quelquefois à celle qui pense souvent à vous. » On peut imaginer sans peine les émotions qui remplirent cette journée, les ardeurs, les désirs curieux, l’activité sans but, l’agitation sanguine, toutes les sensations pénétrantes et énervantes de plaisir inquiet et de fiévreux bonheur dont l’énumération serait trop longue. Jamais le soleil n’avait été si beau que ce jour-là, jamais la nature n’avait été aussi éclatante, jamais les soucis et les besoins de la vie matérielle n’avaient été aussi légers, jamais les hommes n’avaient été des ombres plus muettes.


« On était dans les premiers jours d’avril. L’air était si clair, la verdure si fraîche, le soleil si brillant ! Hier encore, tout paraissait froid et sentait l’hiver. Quel merveilleux changement ! — Oh ! salut à toi, douce nature ; Jamais je ne t’ai tant admirée, jamais je ne t’ai sentie avec autant d’intensité qu’à ce moment. Es-tu réellement plus belle que de coutume, ou est-ce la joie que je porte dans mon cœur qui jette sur toi ces couleurs si belles ? — Un sentiment de tendresse infinie inondait tout mon être ; j’aimais jusqu’aux vaches qui paissaient tranquillement aux rayons du soleil. Une vieille femme s’approcha de moi et me demanda la charité. Son mari était malade à l’hôpital, et elle était misérable. Ce dernier mot résonna à mes oreilles comme une note discordante et presque comme un reproche. Quelqu’un pouvait-il être malheureux dans un jour pareil ? — Venez ici, ma bonne femme. — Et je lui donnai toute la petite monnaie que je possédais. Si j’avais été riche, elle aurait eu au moins du pain pour toute sa vie. Je l’aurais fait, et je le lui dis. Elle me regarda d’un air moitié reconnaissant, moitié étonné. — C’est un beau jour, n’est-ce pas, ma bonne dame ? — Un beau temps pour les semailles, s’il continue encore un peu ! répondit-elle avec un signe de tête dubitatif. — S’il continue ! pourquoi donc ne continuerait-il pas ? Ces vieillards seront-ils donc éternellement des oiseaux de mauvais augure ? »


Les jours se passent, les billets anonymes se succèdent, la déesse reste toujours invisible. Enfin le voile se déchire, le rendez-vous devient sérieux, et Lorenzo s’achemine au lieu fixé. Avec quels tressaillemens et quels battemens de cœur ! Oh ! comme il lui semble que la journée est longue ! et lorsque l’heure désignée s’approche, comme il lui semble que le temps s’enfuit vite au contraire ! Il en est presque à désirer que le rendez-vous soit manqué. Peut-être n’aura-t-elle pu venir ! Mais non, un pas encore, et il est à ses côtés. « Qui parla le premier, ce qui fut dit, comment je me trouvais à côté d’elle, de tout cela je n’ai pas le moindre souvenir. » Le temps s’écoule, elle est partie, et il est toujours là, plongé dans l’extase. « Les étoiles brillaient, les rossignols chantaient doucement, des